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LES CAPRICES DU CŒUR

Elle se rapprocha davantage et lui dit tout près, si près qu’il buvait son haleine chaude, parfumée, troublante…

— Et ces lèvres-là, ne vous ont jamais donné la tentation d’un baiser à voler…

Il faiblissait. Elle le sentait à une buée dans le regard.

— Et ces yeux-là, et ces lèvres-là, ne vous ont jamais donné aucun vertige…

Un étourdissement le fit chanceler. Puis tout à coup il murmura :

— Oui… oui… Hortense, elles me donnent le vertige.

Et brusquement il l’enlaça et colla ses lèvres sur les siennes.

Il avait le vertige, un véritable vertige.

Toutes ses résolutions s’écroulaient. Son masque d’indifférence venait de lui être arraché subitement.

Il ne s’en plaignit pas.

— Oui… Hortense… je l’aime votre bouche, je les aime vos yeux, j’aime votre voix, votre taille, vous, vous, je vous aime… Vous avez gagné.

Elle sourit. Son expression était étrange, énigmatique.

Elle lui serra la main.

— Merci, dit-elle.

— Et vous, m’aimez-vous ?

— Peut-être.

Il voulut en savoir plus long, la pressa de questions. Toujours elle répondait :

— Peut-être.

Il voulut de nouveau la presser dans ses bras, mais souple comme une jeune chatte, elle lui échappa, et un doigt sur la bouche.

— Ne soyez pas gourmand.

— Je pars demain, Hortense. Je serai longtemps, bien longtemps sans vous voir… M’aimez-vous ? Hortense. Dites-moi que vous m’aimez ?

— Je vous ai répondu : Qui sait ? Gagnez-moi.

Et il s’acharna à vouloir, exactement, savoir ce qu’il lui inspirait. L’obstacle le stimulait et aussi l’exacerbait.

Inflexible, elle se tenait toujours sur la défensive.

Quand il la quitta, il n’emporta d’elle que ce « peut-être » vague mais qui lui ouvrait toutes grandes les portes de l’Espérance.


IX


D’un cœur léger, mais battant d’un rythme fougueux, Lucien Noël retourna à Montréal.

Elle était venue à la gare lui dire au revoir.

Il serra longuement sa main entre les siennes, et avant de monter définitivement, en plein public, sur les marches du wagon, il l’embrassa.

— Que dois-je emporter avec moi, demanda-t-il, l’Espérance ou la Désespérance.

Elle sourit de son même sourire énigmatique, et lui jeta :

— L’Espérance.

Le train se mit en branle ; il y entra. De la fenêtre, il lui dit :

— Je vous écrirai. Vous me répondrez ?

— Oui.

Hortense retourna chez elle à pieds, et savourant son bonheur. Elle était contente ; elle était heureuse. Jamais elle n’avait pensé venir à bout si facilement d’une résistance qu’elle prévoyait plus ferme. Sa vanité en était flattée.

Elle se demanda si seulement le plaisir de la lutte l’avait amenée à jouer cette petite comédie. Elle se rappela ses paroles brûlantes, l’éclat de ses yeux pendant qu’il lui parlait, le frémissement de ses mains, et elle en reçut une communication de chaleur qui l’enveloppa tout entière de bien-être.

Une voix en elle parla qui lui dit que c’était mal ce qu’elle venait de faire : « Tu n’as pas le droit de jouer avec un cœur d’homme pour le malsain plaisir de satisfaire ta vanité. Tu ne l’aimes pas et tu le sais. Jamais tu ne l’épouseras.”

Elle ne lui avait pas répondu d’une façon catégorique. Elle lui avait simplement lancé à la figure cette phrase qui n’engage à rien : « Peut-être ». Mais la voix continua : « C’est toi qui as fait le premier pas, les premières avances. Tu l’as attiré cauteleusement dans tes filets. Tu n’avais pas le droit de faire cela. Tu n’as pas le droit de le faire souffrir. »

Mais aussitôt elle fit taire cette voix et se posa la question : « Est-ce que je l’aime ? » et s’aperçut que la réponse : « Peut-être » était juste. Ses remords en furent étouffés et elle continua sa route, revivant en imagination l’instant délicieux de la veille où il lui avait ouvert son cœur.