Page:Paquin - Les caprices du coeur, 1927.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
LES CAPRICES DU CŒUR

reux d’avoir brisé une résolution qui lui pesait, pour en faire cas.

Une fois, parce qu’un jeune homme, durant le temps qu’il était là, appela Hortense au téléphone, il ressentit quelque chose en lui, dont il n’était pas coutumier. Le malaise se dissipa dès que la jeune fille eut raccroché l’écouteur et il n’y pensait plus.

La veille de son départ de Québec, il reçut une lettre de son ami Mainville, qui lui mandait sa candidature dans le comté de Marquette.

Il commençait sa campagne immédiatement et aurait besoin de son concours.

Comme c’était la dernière soirée qu’il passait à Québec, il retourna Grande Allée, faire ce qu’il appelait sa visite d’adieu.

Pourtant son cœur se serra bien un peu quand il souleva le marteau sur la porte et réalisa que d’ici longtemps il ne renouvellerait plus cette visite.

Toujours sûr de lui-même, du moins croyant l’être, il se raisonna, se dit que ces visites étaient devenues une habitude, et que, comme toutes les habitudes, il était dur de s’en défaire.

Le salon des Lambert était une immense pièce tapissée d’étoffes importées et dont les meubles un peu disparates représentaient la grâce et la délicatesse du style français, en même temps que la somptuosité et le confort du mobilier moderne anglais et américain. Chose bizarre, ce mélange de style n’offrait rien de choquant à l’œil ; tout s’harmonisait : quelques tapis d’Orient étaient jetés sans symétrie. Dans un angle un piano à queue, et à côté, un divan large et moelleux.

Hortense était revêtue d’une robe d’organdi mauve. Une échancrure sur le devant laissait voir le cou aux lignes parfaites et la naissance de la poitrine. La robe serrait la taille et s’élargissait aux hanches.

Elle seyait à ravir à la jeune fille s’adaptant parfaitement tant par la coupe que par la nuance, à son genre de beauté.

Lucien remarqua combien Hortense était belle dans cet accoutrement et crut voir que ses yeux étaient plus brillants que de coutume.

Ils s’installèrent tous deux sur le divan, chacun à une extrémité

— C’est la première fois que vous portez cette toilette ?

— Oui, vous ne l’aimez pas ?

— Au contraire, je l’adore.

— Monsieur Noël, est-ce vrai que vous avez déjà eu une peine d’amour ?

Il éclata de rire, d’un rire franc, sans aucune gêne, et qui indiquait bien qu’il était guéri, à jamais guéri, de sa passion première.

— Moi ? Qui a pu vous conter cela.

— Votre sœur Germaine.

— Elle est discrète à ce que je vois.

— Ne la blâmez pas. Je lui ai posé tant de questions sur vous.

— Vraiment ? Vous vous intéressiez tant que cela à mon humble personne ?

— Pourquoi pas ? N’êtes-vous pas intéressant ?… Vous êtes bien loin… Avez-vous peur de moi ?… Approchez-vous un peu.

Sans flairer le danger, il se rapprocha d’elle. Sa main effleura la sienne.

— Lucien, dit-elle, la voix soudain grave.

Il se retourna surpris de l’intonation. Elle rit d’un rire nerveux, saccadé, et lui dit, scandant ses mots.

— J’ai… décidé… que… vous… ne… pensiez… plus… jamais à cette personne.

— C’est fait depuis longtemps.

— Je ne vous crois pas. Alors pourquoi avez-vous tant peur des femmes.

— Vous voyez que je n’ai pas peur de vous.

— Je ne suis donc pas dangereuse.

— Oh ! non ! Du tout ! D’ailleurs, je suis blindé…

À son tour, elle se rapprocha de lui, si près que ses cheveux frôlèrent sa joue.

— Lucien, lui dit-elle… puis, elle se tut.

— Parlez, je vous écoute.

— Lucien… je ne vous inspire rien… rien…

— Oui de l’amitié.

— Rien que cela ?

— N’est-ce pas suffisant ?

— Peut-être…

Ils restèrent quelques minutes sans répondre.

Elle le regarda bien droit dans les yeux.

Les petits yeux noirs ne bronchaient pas.

— Et ces yeux-là ne vous ont jamais rien dit…

Et toute la câlinerie des caresses du regard glissa sur lui comme un effluve.

À son tour, il dit :

— Peut-être.