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LES CAPRICES DU CŒUR

cet incident, les uns prenant la part de Noël, les autres celle du gouvernement.


VI


Germaine Noël, sœur unique de Lucien, invita chez elle pour quelques semaines, l’une de ses amies les plus intimes : Hortense Lambert.

Hortense Lambert était une québecquoise très jolie, qui possédait de superbes yeux bruns, chauds comme des caresses. Elle était élancée, souple de taille. Sa démarche faisait détourner les hommes sur la rue tant elle avait de gracilité.

Chaque année, Germaine faisait un séjour dans la vieille capitale chez son amie. L’autre lui rendait ses visites et cet échange d’hospitalité était devenu une tradition.

Hortense Lambert appartenait au type de femmes communément appelées « allumeuses ». C’était une amoureuse de tête, très coquette, et qui goûtait, comme d’autres, le parfum de l’encens, les hommages masculins rendus à son charme et à sa beauté.

Moins belle que Pauline Dubois, l’ancienne fiancée de Jules Faubert, elle n’en était pas moins adulée à cause d’un je ne sais quoi de mystérieux et de troublant qui se dégageait de toute sa personne. C’était, dans Québec, l’une des jeunes filles les plus en vue et dont les succès étaient les plus marqués.

Se sentit-elle attirée vers Lucien Noël ? Crut-elle remarquer sous le masque pâle que les petits yeux noirs animaient toute la vie intérieure qui soutenait le jeune homme ?

Voulut-elle essayer le pouvoir féminin qu’elle possédait pour le plaisir grisant de voir augmenter le nombre de ses amoureux ? C’est là une énigme aussi indéchiffrable que le sexe auquel elle se glorifiait d’appartenir.

Elle manifesta beaucoup d’attention au journaliste, insinuant même qu’elle serait heureuse de sortir avec lui, d’aller au cinéma, au concert, ou à diner.

Il déclina toutes ses avances. Il était en garde contre le charme étrange qui émanait d’elle. Il ne voulait, à aucun prix, qu’elle eût la moindre emprise sur lui.

Aux repas, il lui répondait poliment, mais sans plus de déférence que s’il se fut agi d’une étrangère dont il n’attendait la moindre faveur.

Cette politique agaça la jeune fille qui se piqua au jeu et voulut entreprendre sérieusement la conquête du jeune homme. Elle s’y prit mal, laissa voir son jeu, démasqua ses batteries.

Averti, il se tint sur la défensive.

Parfois, en lui-même, il riait de cette aventure. Son cœur était mort, bien mort. Il n’éprouvait pas même de penchant charnel pour la jolie québecquoise.

Durant les deux semaines qu’elle vécut sous le toit paternel, elle ne le vit que quelques soirs. Il veillait soit chez Faubert, soit chez Mainville qui commençait à se créer une réputation sérieuse de criminaliste parmi les membres du Barreau Montréalais.

Hortense repartit pour Québec. De son séjour à Montréal rien ne subsista, pas même un souvenir dans le cœur de sa victime désignée.

Germaine ne parlait jamais à son frère des questions sentimentales. C’était une personne froide, pratique, destinée à devenir l’une de ces vieilles filles qui passent dans la vie en semant le dévouement, et, qui, en retour, n’exigent rien. C’était le clair bon sens personnifié. Chez elle on l’appelait Mademoiselle Prose en opposition avec son frère qu’on appelait Monsieur Poésie.

Or, Mademoiselle s’étant enhardi à poser à Hortense certaines questions, s’attira cette réponse péremptoire :

— Qui sait si je ne l’aime pas.

À cela, elle haussa les épaules, sachant bien que les femmes n’étaient pas le faible de Lucien, qu’il les avait mises au ban, et qu’il ne reviendrait pas sur une décision, fruit de souffrances et de larmes.


VII


La session à Québec battait son plein. On était en hiver, vers la fin de janvier.

Un peu partout, l’on s’attendait à des élections imminentes.

Lambertin, le premier ministre, devait, à la présente réunion des chambres, en demander la dissolution, et, convier les électeurs aux urnes.

Des débats importants, inscrits à l’ordre du jour, promettaient quelques semaines mouvementées et sensationnelles.