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I


— Mort ?

Le médecin, pour toute réponse, fit un signe affirmatif de la tête. Les yeux secs, les traits étirés, Julien Daury pénétra dans la chambre. Sur le lit reposait celui qui avait été son père. C’était un homme fortement charpenté, bâti en force, aux os saillants. Ses cheveux gris collaient sur le front mêlés au sang coagulé. Il avait le nez cassé, la lèvre fendue d’où sortait un filet de sang qui striait le menton. Le veston et la chemise enlevés laissaient voir le torse nu d’où l’on devinait la rupture des côtes. La chair était blanche, tachetée d’ecchymoses bleues, vertes et jaunes. Près de la clavicule, une entaille large laissait voir les os… Une jambe pendait inerte et molle. Elle avait été brisée par le choc.

Près du lit, Julien s’arrêta. Une grimace horrible contracta ses traits.

— Rien à faire ? aucune chance ?

— Tout est fini. Il ne souffre plus.

Longtemps contenues, les larmes coulèrent au long des joues du jeune homme. Des sanglots le secouèrent, spasmodiques.

— Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas vrai ! Il était là, plein de vie, ce midi.

Puis il se jeta sur le corps déchiqueté. Il embrassa les joues du cadavre. Elles goûtaient le sang.

— Père ! Père ! Papa !

Il souleva la paupière pour voir l’œil qui était vitreux. La paupière retomba d’elle-même.

Alors, il s’écrasa sur le sol, les deux bras ballant sur le lit, et s’abîma dans les pleurs.

Le médecin, stoïque par métier, haussa les épaules, s’approcha du jeune homme, le releva avec un geste presque maternel et l’amena dans la pièce voisine.

Il savait les mots impuissants, et que les phrases ne rendraient que plus lancinantes les souffrances morales.