Page:Paquin - Le mort qu'on venge, 1926.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

tion, heureuse et honteuse à la fois d’avouer son amour et de confier sa faiblesse. L’animation rosissait ses joues.

— Et quand je suis tombée à l’eau, au retour de notre excursion de l’Île-aux-Coudres, c’était voulu. J’ai vu que vous restiez seul au quai et une pensée folle m’est venue. Je voulais vous éprouver, je voulais savoir si vous aviez pour moi un peu de l’affection que j’avais pour vous. Et vous savez le reste… Et, ajouta-t-elle en souriant, après cela, je n’ai plus douté.

Il écoutait, ravi, cette confession… Son âme était inondée de bonheur ; le son de cette voix le charmait.

— Dites-moi, Henri, que ce que vous avez dit tout à l’heure, ce n’était pas vrai, il n’y a personne à part moi qui vous intéresse…

— Non, Adèle, il n’y a que vous, il n’y a que toi…

— Pourquoi vouliez-vous m’empêcher de danser ?

— Pour vous punir de ce que vous m’avez fait aujourd’hui. Vous avez souffert. Adèle, vous êtes la première femme dans ma vie. Je vous aime avec un cœur vierge, avec fougue, avec toute la puissance de mon tempérament. Jamais avant de vous avoir connue je n’ai éprouvé ce qui depuis quelque temps fait le charme de mes jours. Seulement, voyez-vous, je suis un peu vieux jeu. Je crois que la femme est faite pour obéir, l’homme pour commander. Et puis, je suis autoritaire. Hier soir, quand vous avez refusé mon invitation d’aujourd’hui, cela m’a choqué. Et j’ai juré vis-à-vis de moi-même que vous céderiez. Vous n’en êtes pas plus mal.

L’orgueil de la jeune fille se cabra. Elle voulut répondre, mais dans les yeux gris, ces yeux froids qui savaient à l’occasion être cruels, elle lut tant de douceur et tant de ferveur, que, vaincue, elle s’abandonna tout entière à la fascination.

— Rentrez-vous ? Albert Germain va lire son adresse, demanda le docteur Berthelot aux deux amis sur la galerie ?

Le couple suivit les autres.

Sérieux, grave, solennel, Albert Germain déroulait un immense papier jaune dont on se sert chez les marchands pour l’emballage. D’un ton cérémonieux, il commença.

Les éloges les plus dithyrambiques se succédaient, agrémentés de mots d’esprit et de calembours. Finalement, il termina sur une note un peu sentimentale, en annonçant ses fiançailles, qui avaient eu lieu le jour même, au dîner de famille.

Suzanne rougit tout le temps de cette lecture. Elle était ravissante à voir. Le bonheur se lisait sur son clair visage.

Une acclamation unanime souligna les dernières paroles de l’orateur et d’innombrables poignées de mains furent prodiguées, en félicitations de cet événement. Les deux jeunes gens étaient très sympathiques et, dès leur arrivée, avaient conquis tous les cœurs.

Cette cérémonie de la présentation de l’adresse terminée, et avant le goûter qui devait clore la réunion, on fit un peu de musique. Adèle chanta en s’accompagnant elle-même le grand air de Madame Butterfly. Julien, prié à son tour de chanter cette chanson de la Glue qu’il avait si bien chantée, un soir, refusa.

— Pour une circonstance comme celle-ci, c’est trop macabre.

— Alors, d’autre chose : La « Vieille maison grise » de Messager ?

Tous acquiescèrent et, en rappel, il donna cette chanson de Murger qui termine la « Vie de Bohème » : « Hier, en voyant une Hirondelle ».

Adèle l’écoutait religieusement. Ce timbre grave lui plaisait.


En la quittant, ce soir-là, il lui dit :

— Alors, notre voyage à la Malbaie c’est pour demain ?

— Pour demain.


XII


La route régionale qui va de Québec à la Malbaie est l’une des plus pittoresques qui se puisse trouver dans notre province. De la Baie St-Paul elle court sur le sommet des montagnes ; elle domine des paysages d’un grandiose émouvant. La vue embrasse des étendues immenses, tellement que l’horizon recule ; à certains endroits, on y voit la mer par delà des montagnes.

Établie sur ces montagnes, une population de cultivateurs y vit, qui, depuis de nombreuses générations, cultive avec amour le même coin de terre. L’élevage du mouton — l’agneau de Charlevoix est très apprécié sur les marchés, — l’élevage des dindons en sont les sources les plus payantes de revenus. Depuis quelques années, imitant l’exemple d’une compagnie établie à la Baie St-Paul, plusieurs se sont livrés à élever des renards argentés et avant peu d’années, le comté de Charlevoix pourra rivaliser sous ce rapport avec l’Île du Prince-Édouard.