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— Octave ! prépare ta gaffe… attention ! Lâche tes amarres !… Saute !… Ne remuez pas personne ! Attendez !…

On accostait.

— Ce soir, aux Laurentides ! Grand bal masqué ! lança Albert Germain.

— Vous auriez dû nous avertir plus vite, firent plusieurs voix.

— L’impromptu ! voyez-vous. Il n’y a que cela d’intéressant. Vous exercerez vos talents à vous composer un joli costume avec rien.

La colonie qui passait l’été aux Éboulements, très unie ensemble, ne craignait qu’une chose : l’ennui. Chaque jour quelques-uns de ses membres étaient à la recherche de la nouveauté, et organisaient quelques amusements. Tous étaient en vacances et ils en profitaient : concerts, partie de bridge, tournois de golf, danse, bal masqué, thé ici et là, réception, excursion champêtre, promenade en goélette ou en bateau, chaque jour apportait son plaisir nouveau.

Il suffisait que l’on propose quelque chose pour qu’immédiatement l’invitation fut acceptée.

Albert Germain, avait pensé, tantôt, qu’un bal masqué improvisé serait amusant. Il en avait émis l’idée et chacun regagnait son hôtel ou sa pension en se creusant la tête pour trouver un costume original avec le peu de ressources dont leurs garde-robes disposaient.

Pendant qu’ils s’acheminaient, Julien contournait la bâtisse qui fait l’extrémité du quai et qui sert de salle d’attente, de halle aux marchandises et de bureau au gardien. Il s’était assis sur le banc pour attendre que l’affluence soit diminuée. L’immobilité causée par cette promenade l’avait fatigué et aussi… la présence tout près de lui de la jeune fille aux grands yeux de velours. Quand il jugea l’endroit désert, il se leva pour regagner ses pénates.

Par un machiavélisme tout féminin, Adèle, sans faire semblant de rien, ou plutôt feignant d’attacher ses souliers, avait attendue elle aussi que tout le monde soit disparu.

Une idée folle lui était venue. Un projet insensé la hantait qu’elle voulait mettre à exécution, et tout de suite, d’autant plus que l’occasion ne pourra jamais s’offrir ainsi. Un morceau de bois équarri haut d’un pouce, sert de rempart à la jetée. Elle s’y aventura, et marcha au bord, tout près de l’eau, aussitôt qu’elle aperçut Henri Gosselin.

— Faites attention ! Vous allez tomber, cria-t-il.

Se retournant d’un geste brusque, comme surprise par ce conseil, elle perdit l’équilibre et tomba à l’eau.

À cet endroit, la mer, surtout quand elle est haute, est très profonde.

Se débattant des pieds et des mains elle appela : Au secours !  !

Julien était le seul qui la pouvait sauver.

Il resta quelques secondes, figé sur place. Un rictus mauvais passa sur ses lèvres. Puis, tout à coup, les mains en avant il plongea. Il saisit Adèle par le corps et de sa main libre il nagea vers la grève. À 50 pieds de terre, il toucha le fond de sable. Il prit la jeune fille dans ses bras et marcha vers le bord avec son précieux butin. Il la contempla de près.

Elle le troublait. Les yeux étaient fermés, mais les lèvres entr’ouvertes, charnelles, prometteuses étaient là qui le tentaient. Et de la sentir près de lui, sur lui, de sentir ses lèvres près des siennes, lui fit perdre la tête. Il se pencha vers elle, et, fou, ne sachant plus ce qu’il faisait, il l’embrassa passionnément. Il crut sentir au contact des siennes les lèvres de la jeune fille frémir. Il la regarda, elle était toujours évanouie. Chancelant presque sous son fardeau qui devenait de plus en plus pesant, il put enfin gagner la terre ferme. Il la déposa sur le sol, lui tapa dans la paume des mains, pratiqua la respiration artificielle. Elle ouvrit les yeux lentement, et les tourna vers son sauveur ; il y lut tant de ferveur qu’il dut fermer les siens.

— Vous sentez-vous mieux, maintenant ?

— Oui, souffla-t-elle.

— Attendez-moi, une minute. Je vais demander à Tremblay de nous conduire en auto.

Tremblay demeurait en effet tout près du quai. Par bonheur il était chez lui. Il sortit son auto du garage.

Quand Julien se rapprocha d’elle, la jeune fille éteignit vitement sur ses traits le sourire qui les éclairait.

— Pouvez-vous monter jusqu’à la route ?

— Oui, si vous m’aidez.

Elle s’appuya à son bras. Il l’installa sur une banquette de l’auto, et avec une grande douceur, une sollicitude presque maternelle, il l’enroula dans les couvertures.

À l’hôtel il lui offrit un verre de cognac. Elle, l’avala d’une traite.

— Vous ne prenez rien ? Vous êtes transi.

— Ne craignez rien. Je ne me suis pas oublié. Ça va mieux maintenant ?

— Tout à fait. Comme je vous remercie !