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Et son sourire, naïf, ingénu, découvre deux rangées de dents blanches.

— Vous ne me demandez pas à quoi j’ai rêvé ?

— Probablement à quelque conquête à entreprendre durant votre séjour ici ?

— Vous y êtes. J’ai rêvé à vous…

— Vous n’avez pas l’intention de faire ma conquête, je suppose. Vous exercerez vos talents ailleurs !

Et ce disant, il lui tourne les talons, descend l’escalier et s’aventure le long du chemin, dans la direction de la gare.

— Vous n’êtes pas poli, M. Gosselin, pensa-t-elle.

Et légère, sautillante, fredonnant un air de « Mme Butterfly », elle rentra à l’hôtel, déjeuner.

La journée s’annonçait torride.

Vêtu d’un pantalon khaki, la chemise de même couleur ouverte sur la poitrine, Julien s’était habillé pour être à son aise.

La compagnie l’ennuyait. Il fuyait les gens et s’était proposé en se levant de faire une longue promenade. Il voulait explorer les alentours, monter sur les hauteurs. Une seule route centrale, avec un embranchement qui conduit au quai, traverse le bas des Éboulements. À quelques arpents de la gare, en gagnant le nord-ouest, elle grimpe à même la falaise jusqu’au plateau où quelques cultivateurs sont établis. Au carrefour du chemin, il y a une croix, et tout près, une maisonnette blanche, enfouie dans un massif de lilas et qui se laisse entrevoir par sa barrière à claire-voie. Rendu là, Julien s’arrêta et contempla le paysage. Il était grandiose. En bas, dans la verdure, les maisons faisaient des taches blanches, jaunes et vertes. En face, le fleuve ; au milieu, l’Île-aux-Coudres. Plus loin, une presqu’île avec le quai au bout s’avançant jusqu’à la mer haute et qu’un kiosque terminait ; plus loin encore, barrant l’horizon, les montagnes de la Baie St-Paul et les caps. Le soleil commençait d’être dans sa force. Il glissait sur les membres, vivifiant.

Après quelques minutes de contemplation, Julien s’engagea dans le petit chemin qui sert de débouché aux habitants du plateau. Il était encadré de buissons. Les églantines en fleurs l’embaumaient. Il allait en serpentant, étroit et pittoresque. L’herbe y poussait entre les traces des roues et des sabots des bêtes. À une couple de cents pieds, un petit ruisseau venant de la montagne passait dans les roches. Un sentier ombragé de sapins le côtoyait. L’ombre y était fraîche, invitante. Sur une roche plate, allongée comme un lit rustique et dur, le jeune homme s’étendit. Il alluma un cigare et s’amusa à regarder monter capricieusement dans l’air la fumée bleue qui s’en échappait.

Nul bruit ne parvenait aux oreilles si ce n’est le murmure de l’eau et celui des bêtes, des infiniment petits, qui vivent quelques jours et meurent. C’était la paix, la grande paix douce et reposante que prodigue Dame Nature à ceux qui la chérissent. Elle distille l’oubli de vivre, l’oubli des platitudes de l’existence. On ne pense pas, on ne vibre pas, on ne souffre pas. Le monde n’existe plus, avec ses mesquineries, ses tracas, ses luttes, ses haines.

Julien s’endormit, insensiblement. Combien de temps dura son sommeil ? Il ne s’en rendit pas compte, mais il y avait bien une couple d’heures qu’il était là. Il s’en aperçut au tiraillement de son estomac qui criait famine. Il descendit tranquillement le chemin, et, quand il arriva aux Laurentides, il était près de quatre heures.

Ses amis les Chantal, qu’il n’avait vus de la veille, commençaient à s’inquiéter de lui. Il les rassura en souriant. Il avait la figure rassérénée.

— J’ai fait une belle promenade, seul, dans un petit chemin qu’on pourrait appeler un chemin d’amoureux, tant il est pittoresque. Je m’y suis aventuré. Un ruisseau coulait tout près. Il y avait de l’ombre. Je me suis étendu. J’y ai trouvé l’oubli, et j’ai dormi.

La vie en commun avait créé parmi la petite colonie qui passait l’été aux Éboulements comme une sorte d’intimité. Chaque soir, l’on se réunissait dans l’un quelconque des hôtels. Pendant que les personnes plus âgées s’attablaient pour une partie de bridge, les jeunes gens et les jeunes filles organisaient des divertissements les plus variés : danse, comédies, impromptu, musique, jeux, charades, etc. Le bout-en-train de la société était un petit jeune homme blond, aux yeux de fouine, très spirituel et dont l’ingéniosité et la verve mettaient de la vie et de la gaieté dans tout ce qu’il entreprenait.

Ce soir-là, la réunion avait lieu au « Castel de la Rive », hôtellerie ouverte de l’année seulement et située au bord de la mer.

Les Chantal, qui s’ingéniaient à distraire leur ami, à lui faire reprendre le goût de vivre, avait insisté pour qu’il vienne avec eux. Julien ne parlait à personne. Il était tou-