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— Oui. À bord. Ta femme est-elle absente ?

— Elle est montée au village cet après-midi prendre le thé au Manoir.

— Pourquoi ne veux-tu pas garder ton nom ici ?

— Pourquoi ? voici ! As-tu remarqué la jeune fille qui vient d’arriver ?

— Oui ! C’est une très jolie fille à ce que j’en ai pu juger.

— C’est elle.

— Comment le sais-tu ?

— Par les photos, par son écriture et par son nom.

— Et tes intentions ?

— Je n’en ai pas pour le moment.

L’aubergiste se présenta à nouveau. Il salua. Julien se nomma :

— Henri Gosselin.

— Vous êtes ici pour combien de temps ?

— Je ne sais pas. Deux semaines au moins. Vous avez encore des chambres disponibles ?

— Vous êtes chanceux. Il ne m’en reste plus que trois, si vous voulez me suivre. Ce sont vos bagages ?

— Oui.

Ils gravirent l’escalier. On donna à Julien la chambre 10. Par la fenêtre on y voyait la mer.

C’était une chambre bien sommaire, mais confortable et propre. Elle n’était meublée que d’une couchette et de deux commodes. Les murs de bois étaient peints en vert, mais d’un vert tendre et pâle.

— Pourriez-vous m’installer une table de travail ?

— Je vous en ferai monter une, demain. Vous avez soupé ?

— Oui.

Il se retira. Les deux amis restèrent seuls.

— Tu m’as demandé mes intentions. Je t’avoue que j’en ai pas du tout. Je vais laisser faire les événements. Je suis content qu’elle soit ici. Cela va donner du piquant et un but à mon séjour à la campagne. Sans elle, je t’avoue que je m’ennuierais.

— Tu n’es pas flatteur pour moi.

— Qu’est-ce que tu veux ? Je n’ai de goût à rien. Je tue le temps…

Julien se coucha à bonne heure. Il ne tarda pas à s’endormir, fatigué du trajet et des émotions qui avaient fait battre son cœur, bien malgré lui, cependant.

Il dormit mal. Il eut des cauchemars. Les yeux de velours le poursuivaient ; ils le narguaient et de temps à autre il entendait des éclats de rire moqueurs.

Le matin pénétra par la fenêtre et le soleil le frappant en plein visage le réveilla.

Il regarda l’affiche posée sur la porte de la salle à manger. Elle indiquait l’heure des repas. Le déjeuner ne commençait qu’à huit heures. Il avait plus d’une heure devant lui. Il prit sa casquette, son bâton de marche et sortit aspirer l’air frais et visiter les alentours qu’il ne connaissait pas.

La marée montait tranquillement. Les herbes marines étaient presque recouvertes. Elles n’apparaissaient plus que comme des îlots de verdure çà et là. Au loin, plus large, sur la batture, seule la tête des plus hautes roches émergeaient.

Julien respira profondément, laissant l’air salin s’engouffrer dans ses poumons. Il fit accomplir une couple de moulinet à sa canne et se dirigea par le chemin dans la direction du quai.

Il marcha longuement, se grisant de l’air matinal. Il s’engagea dans le chemin qui passe devant l’hôtel Beauséjour, gagna la grève, contempla quelques instant l’eau calme du fleuve, et revint à son hôtel.

Le Bas des Éboulements se réveillait. Quelques appels de chiens, des meuglements de vache, le cocorico sonore des coqs brisaient le silence.

Les marchands ouvraient les portes de leurs établissements. Les hommes de section se rendaient à leur travail.

À l’hôtel, presque personne n’était levé, sauf les propriétaires.

Une jeune fille en robe claire, aux joues roses, circula par les corridors en agitant une grosse cloche. Elle annonçait le déjeuner.

Julien pénétra dans la salle à manger. Il avait l’appétit aiguisé.

— Tu n’es pas matinal, à ce que je vois, dit-il, comme il vit Paul descendre l’escalier, vers neuf heures du matin. Bonjour Madame. Vous vous plaisez ici ?

— Beaucoup. C’est aimable à vous d’être venu. Paul m’a dit que vous vous appeliez Henri Gosselin, maintenant ?

— En effet. Du moins pour un temps.

— On peut savoir la raison ?

— Peut-être, plus tard.

— Connais-tu le jeune homme arrivé hier soir en même temps que moi, demanda Adèle Normand à l’une de ses amies, Thérèse Lesieur.

— Je ne le connais pas. En tout cas, il n’a pas l’air gai.