LA VIE CANADIENNE 55 Exploits de chiens Il y a une trentaine d’années, dans le plein du mouvement pour l’érection du monument de Maisonneuve, sur la Place d’Armes, à Montréal, je reçus un joli billet, sans signature, écrit d’une main jeune, me demandant s’il était vrai que la chienne Pilote devait figurer sur l’une des faces de bronze du monument. Mon anonyme correspondant ajoutait : « Nous sommes plusieurs Canadiens qui comptons sur vous pour apprendre les hauts faits de ce personnage historique et ce lui vaut de passer ainsi à la postérité.” Pilote, c’est l’oie du capitole canadien. Expliquons-nous. Avant l’ère chrétienne, les Gaulois assiégeant Rome, se glissèrent durant la nuit en dedans des fortifications et allaient faire main-basse sur les troupes endormies, lorsque des oies, effrayées à la vue de ces rôdeurs, se mirent à piailler et par là donnèrent l’alarme, ce qui sauva la garnison et même la ville. Vous voyez d’ici l’utilité des oies dans l’histoire. A Montréal, en 1614, les oies, c’étaient des chiens. Pour se tenir en garde contre les Iroquois, qui représentaient les Gaulois ou les barbares de ce temps-là, les habitants du fort de la Pointe-Callières avaient organisé une meute qui faisait le tour de la place et, très intelligemment, sentait le Sauvage partout où il se cachait. Dans une patrouille il y a un guide. La chienne Pilote répondait à ce grade. Je lui conférerais les gallons de sergent, si elle vivait encore, mais elle est malheureusement depuis longtemps décédée. Son instinct de policier lui valait presque le commandement ; elle dirigeait sa troupe à travers les halliers et signalait l’ennemi comme le chevalier d’Assas le fit plus tard, quitte à se faire tuer comme lui. On l’a même vu battre des chiens qui s étaient dérobés à une ronde en règle, par elle conduite autour du fort. La discipline, voyez-vous, il n’y a que cela pour les êtres utiles et intelligents. Or, un matin de la fin de l’hiver, Pilote galoppait vers la rue Saint-Paul, aujourd’hui, et elle aperçut des Iroquois. Aussitôt elle donna 1 alarme et se posa en arrêt dans la direction de l’ambuscade. M. de Maisonneuve arma ses gens et poussa à l’ennemi, lequel fut culbuté à l’endroit plus ou moins précis de la Place d’Armes actuelle. Déjà, depuis des mois, M. de Maisonneuve promettait aux Iroquois un chien de sa chienne. C’est pourquoi la chienne Pilote a sa place dans l’histoire ! On la lui a accordée. Un bon petit chien dessiné en relief sur l’un des côtés du monument qu’on admire aujourd’hui raconte les prouesses de Pilote, intrigue les passants, incite ceux-ci à apprendre l’histoire des hommes, à commencer par les chiens, et nous n’avons que peu de choses à envier aux oies du capitole romain. Benjamin SULTE. Fraisier et Frezier Une dépêche originale de Paris qui nous annonce qu’à une récente vente de reliques historiques un chapeau de paille ayant appartenu à Victor Hugo s’est vendu seulement $340.00 et la plume d’oie avec laquelle le poète écrivit Napoléon le Petit pour la petite somme de $720.00, nous informe aussi que les fraises de primeures sont arrivées dans la capitale française. Cela nous rappelle un article du journal Le Canadien, de Saint-Paul, Minn., où il était dit que les fraises furent importées en Bretagne en 1690 par un voyageur du nom de Frézier. Pour une coïncidence, certes, c’en était une, mais nous n’avons pas cru foi dans les prédestinations de Frézier ! En effet, il est admis que les fraises étaient connues dans l’antiquité la plus reculée, non seulement à l’état sauvage, mais comme nourriture rafraîchissante. Au point de vue comestible, leur culture ne prit de l’essor qu’à la fin du seizième siècle. Cela écarte loin l’idée de leur implantation près de Plougastel, en Bretagne, par Frézier, car en 1690 le jeune Amédée-François Frézier n’avait alors que huit ans, étant né à Chambéry en 1682. Revenant de Saint-Domingue où il exécuta des travaux de fortifications très importants, il a pu apporter 1739 des fraisiers du Chili ou de l’Amérique centrale, mais à cette époque les fraises étaient depuis longtemps connues et répandues par toutes les provinces de France, des Alpes aux Pyrénées. Ne confondons pas fraisier avec Frézier. Evidemment, il y aura toujours des farceurs ! Gérard Le JEUNE.