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LA VIE CANADIENNE

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la présente est M. de Dombour (anagramme d’un des fils de feu Jean Bourdon) qui va en France pour accompagner madame Bourdon. ”

Une partie du régiment de Carignan venait de repasser en France. Environ 400 de ses soldats restaient parmi nous et consentaient à devenir colons, mais une centaine de ceux-ci devinrent malheureusement coureurs de bois et furent perdus à la nation ; une autre centaine s’étaient mariés au cours des années 1666, 1667 et 1668 ; en sorte, il restait peut-être 200 célibataires prêts à prendre femme. C’était beaucoup trop d’un seul coup. C’est alors que madame Bourdon, qui, veuve une première fois, s’était vouée aux oeuvres de piété, comme on l’a vu précédemment, et se trouvant libre de nouveau après la mort de Jean Bourdon, 12 janvier 1668, songea à exécuter un projet dont l’idée convenait aussi parfaitement aux hommes influents du Canada : c’était de recruter des filles instruites, laborieuses et de santé, mais non plus de ces « filles du roi » ou de villes qui, ayant reçu une éducation propre à les faire entrer au service des grandes dames, ne devaient point se trouver chez elles au milieu des travaux des champs. Madame Bourdon passa donc en France cet automne 1668 ; elle n’a pas dû commencer à agir avant le mois de décembre ; par conséquent les envois antérieurs de filles de villes ne doivent plus lui être attribués. Mesdames d Aillebout et Bourdon, la Soeur Bourgeois, la Mère de l’Incarnation, mademoiselle Mance, d’autres femmes de premier rang dans la colonie, des membres du Conseil Souverain, puis aussi des hommes de nos meilleures familles, s’entendant tous ensemble sur ce sujet, et de lU«s ayant l’assistance de Colbert, des archevêques de Paris et de Rouen, composaient un bureau des plus respectables. Cela écarte bien loin l’idée que l’on ramassait des filles au hasard pour les envoyer au Canada.

Madame Bourdon savait fort bien que, de 1640 à 1665, il était venu un certain nombre de filles honnêtes mais peu savantes, tandis qu elle songeait à nous en procurer de plus instruites pour compléter l’état social de la colonie. Ce désir répondait au besoin du temps. Rendue en l’rance elle s’adressa aux institutions et elle recruta un contingent supérieur sous le rapport physique et intellectuel, et différent quant à l’ensemble de l’éducation des jeunes personnes non mariées qui étaient venues pour s’établir en 1668. Ces dernières, règle générale, savaient lire et écrire, mais on voulait davantage et le résulta fit voir qu’on avait vu juste. Les exposés statistiques de M. Suite font voir que, de 1634 à 1668, il est arrivé plusieurs filles avec leurs parents, mais la plupart sont venues seules sous la direction de personnages marquants. En 1665 la Mère de l’Incarnation nous laisse à supposer l’existence d’un bureau quelconque à Paris ou ailleurs. L’année 1668-69 est la seule où madame Bourdon s’est occupée du choix des filles pour le Canada. Le fait que La Hontan mentionne cette dame et personne autre a fait croire que son cas était unique et même qu’elle avait recruté à elle seule toutes les filles en question, c’est-à-dire pour la période s’étendant de 1659 à 1669. Nous ne savions pas que de tout temps une chose semblable avait eu lieu et que, de 1634 à 1750, il était venu, comme nous l’avons dit, 1100 filles, sans leurs parents, qui s’étaient mariées au Canada. Madame Bourdon paraît en avoir amené tout au plus 150 sur ce nombre total, mais les chiffres de M. Suite n’en indiquent que 107 connues. Quant à celles qui venaient d’elles-mêmes il est juste de supposer qu’elles avaient des amis au Canada. Au mois d’octobre 1669 la Mère de l’Incarnation salue le retour de madame Bourdon et de Dombourg. Elle dit que cette dame a amené 150 filles, et elle ajoute : « Un peu auparavant il était arrivé un vaisseau rochelais chargé d’hommes et de filles et de familles formées. » Sur les petits navires de l’époque il ne fallait pas beaucoup de monde pour faire un chargement.

Voici une phrase de la Mère de l’Incarnation qui, si elle était signée La Hontan, provoquerait des réflexions : « Les vaisseaux ne sont pas plutôt arrivés que les jeunes hommes y vont chercher des femmes et on les marie par trentaines. » Concédons cela en ce qui regarde Québec même, où il a dû se faire une trentaine de mariages, mais non pas des trentaines. Combien de mariages ont eu lieu partout ailleurs dans la colonie ! Nos pages le montrent aisément. J’ai vu à ce sujet les registres de Québec et de Montréal et je vous avoue que le mot de la Mère de l’Incarnation n’est pas très juste. Colbert écrivait le 15 mai 1669 que le roi envoyait 150 filles, celles de madame Bour-