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LE MIRAGE

C’est sa vie qui s’en va goutte à goutte avec chacune de ses larmes.

Ne plus jamais le revoir ! N’avoir plus même le droit de penser à lui, puisqu’en y pensant elle associera son souvenir au souvenir de l’autre !

***

Les jours passent. Suzanne dépérit. La pâleur s’accentue. Sous les yeux le cercle noir s’agrandit.

Hubert qui a vu lui aussi l’annonce des fiançailles, est demeuré quelques semaines sans venir.

Mais ce soir, ramassant son courage, il se décide. Il lui offrira de l’emmener avec lui, tenir sa maison et fonder son foyer.

À peine l’a-t-il vue qu’il constate que tout est fini, qu’il n’y a pas d’espoir.

Devant l’impossibilité, il se résigne. Il souffre de la voir tant souffrir.

— Vous l’aimez donc bien, lui demande-t-il.

À lui, son grand ami, elle avoue.

— Oui. Jusqu’à en mourir.

Il frissonne malgré lui. C’est vrai qu’elle l’aime à ce point.

Une résolution subite traverse son cerveau. Il se lève et part.

— Il reviendra, Suzanne, je vous le promets.

***

On annonce à Fabien que quelqu’un qui ne s’est pas nommé désire le voir immédiatement.

Il fait entrer. C’est Hubert Desroches.

Froidement, il salue :

— Bonjour Hubert. Qu’est-ce que je puis faire pour toi ?

— Le plaisir de monter dans le premier train pour Saint-Chose.

Fabien, ricane et ce ricanement a pour don d’exaspérer Hubert.

— Il y a un train dans une heure. Il faut que tu le prennes.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’on te demande là-bas.

— C’était de venir eux-mêmes…

Hubert s’exaspère de plus en plus. Il change de tactique, essaie d’attendrir son ancien compagnon en lui parlant de son père qui se fait vieux, de Suzanne qui l’attend et pleure de le savoir fiancé à une autre.

Peine perdue.

— C’est tout ce que tu as à me dire ?

Fabien se lève.

— Alors fait moi le plaisir de me laisser la paix.

Hubert reviendra-t-il bredouille. Ce n’est pas dans ses habitudes.

Fabien est tout près de lui. Il a une idée. Tout à coup, le bras se détache du corps et le poing aux jointures de fer s’abat de toute la force dont Hubert est capable, sous le menton de Fabien. Celui-ci a ployé sur ses jambes et s’est étendu sur le pupitre.

Hubert rouvre la porte pour avertir la sténographe. Elle avait entendu le bruit.

— Faites venir vite un taxi, commande Hubert, votre patron vient d’avoir une faiblesse.

Le taxi arrive peu après. Hubert y monte Fabien, donne l’adresse : Gare Viger.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

D’autres jours ont passé.

C’est l’automne. Un matin de septembre.

Le père Picard laboure.

Fabien arrive dans la pièce. Il tient Suzanne par la main.

Elle salue monsieur Ignace. Celui-ci arrête et répond d’un large signe de la main.

— Papa, Suzanne a quelque chose à vous dire.

Il prend les mancherons de la charrue et accomplit la besogne du laboureur, durant que Suzanne plaide sa cause et lui annonce leur prochain mariage.

Quant à Hubert, il fallait quelqu’un à qui conter sa bonne action.

Il a continué de voir Marie Bourdon. Maintenant qu’il n’est plus aveuglé par Suzanne, il commence à se rendre compte des qualités de la jeune fille.

On chuchote qu’ils se marieront au printemps.


FIN