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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

Il n’avait qu’un objectif : remplir bien sa charge. Sa charge ? C’était d’obtenir une condamnation.

Elles lui plaisaient comme autant de victoires.

Le sens humanitaire et la bonté étaient disparus de son âme. L’accusé lui paraissait un gibier humain. Il ressemblait à un chasseur qui se réjouit chaque fois qu’il a visé juste et que tombe une victime.

Depuis le début de l’instruction, Armand Dubord ne pensait qu’à son procès ; il constituait pour ainsi dire, la pierre d’achoppement de sa carrière. De son issue dépendait l’avenir. Après avoir, au collège, dans ses classes de philosophie, décroché le prix Colin, il voulait, dans le monde, continuer la série de ses succès scolaires.

Il possédait tout ce qu’il faut pour réussir sauf peut-être ce que l’on est convenu d’appeler la « protection. »

Mais il n’en avait cure pour le moment, se proposant de l’avoir plus tard. Individualiste au suprême degré, comme beaucoup de Canadiens de sa génération, il comptait d’abord et surtout, sur lui-même. Il n’était pas éloigné de s’écrier comme ce héros antique : « Moi ! moi seul, et c’est assez ». Également bien doué au moral et au physique, il avait conservé de ses origines paysannes, une robustesse assouplie par la culture. Brun de complexion, il avait des yeux grands et noirs, et qui fascinaient. Il possédait ce don rare d’une sympathie communicative.

Travailleur acharné, esprit curieux, toujours avide de connaissances nouvelles, il aimait l’étude à l’égal d’une passion.

Exubérant, causeur exquis, bon camarade, il n’avait connu depuis son entrée dans la Société, où adroitement, il s’était faufilé, que des conquêtes. En raison des possibilités qu’il recelait, on le considérait comme un parti avantageux. Beaucoup de jeunes filles avaient tourné vers lui des yeux enamourés. N’étant pas homme à bonnes fortunes, il avait fui les femmes faciles. Elles ne l’intéressaient que vaguement, pour ne pas dire, nullement. Il soupçonnait au fond de ces aventures trop de désillusions pour qu’elles méritent d’être tentées. Elles signifient pour qui s’y abandonnent un gaspillage de forces et d’énergies. De ses rares équipées d’étudiant, il ne gardait qu’un arrière goût d’amertume et l’humiliante sensation d’une déchéance personnelle.

Fils de cultivateurs, aîné d’une famille de douze, l’instruction classique qu’il avait reçue, représentait pour les siens des sacrifices obscurs et continus. Ils avaient placé sur sa tête l’ambition de leur vie. Lui considérait comme un devoir de faire rejaillir sur le nom qu’il portait, un peu de cette gloriole tant désirée et rêvée.

Ce devoir, il l’avait accompli jusqu’ici. Au collège, c’était lui le premier, aussi bien à la classe qu’aux jeux. C’était lui qui, dans les grandes occasions, prononçaient les discours de circonstance. Il en respirait un orgueil doublé de l’orgueil des siens. Toujours au premier rang, l’écoutant dévotieusement, béatement, ils buvaient ses paroles dont ils n’auraient voulu perdre aucune.

En travaillant de nuit au bureau de poste, durant sa cléricature, il avait réussi à terminer ses études légales sans être à la charge de personne.

Depuis qu’il avait obtenu le « dignus intrare » dans le Barreau de la Province, il soupirait après l’occasion, la grande occasion, qui lui permettrait de se produire, de s’extérioriser et de montrer à ses concitoyens ce dont il était capable. Il était conscient de sa valeur et n’avait pas de culte plus grand que celui du « surhomme » qu’il voulait devenir.

Le hasard, la chance, comme il disait en donnant à ce mot Chance, un C majuscule, venait de le favoriser d’une façon imprévue. Dans son village natal, un habitant nommé Éphrem Langlois, avait tué d’un coup de poing, un commis de banque, nouvellement installé à St. X…

Éphrem Langlois, qui cultivait une mauvaise terre dans le rang du « Grand Brûlé » fréquentait une jeune fille du village : Aurélie Coderre. Depuis déjà deux ans, ils se voyaient tous les dimanches soirs, et souventes fois sur semaine. Il l’aimait comme un fou ; elle paraissait l’aimer. Est-on jamais sûr du cœur d’une femme ?

Éphrem était un bon garçon, rangé, sobre, pas très intelligent cependant. Il était dur à l’ouvrage et besognait du lever au coucher du soleil. La terre qu’il exploitait était rocailleuse et infertile, mais parce qu’elle lui venait de son père, il s’acharnait pour qu’elle rapporte.

Un jour, un jeune homme de la ville s’en