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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

soirs sereins, et aussi la tristesse de l’été défunt…

La ville à ses pieds déroule son panorama de maisons, de vues, d’arbres, de parcs.

Le fleuve trace un ruban d’argent… Au loin on distingue les villes de Longueuil, de St-Lambert. Plus loin la montagne de St-Bruno, celle de Belœil, celle de St-Hilaire…

La chute du jour s’accentue. Les couleurs changent, deviennent plus somptueuses…

Le firmament rougit, s’embrase, et peu après les feux s’éteignent qui le doraient…

Dans les rues, une à une les lumières électriques s’allument aux poteaux.

Dubord regarde. Il voit des maisons longues, des édifices de pierre enfouis dans la verdure.

Il distingue la clarté des fenêtres… et il pense que là, dans ce séminaire dont les ailes s’échelonnent au flanc de la montagne règne le contentement dans l’oubli total des sens, et l’abstraction du moi.

Il reste longtemps accoudé aux remparts à rêver…

La décision s’affirme qu’il a prise la veille.

Demain il grossira de son unité le nombre de ceux qui offrent à Dieu l’hommage de leur Vie.

Qu’attend-il de l’avenir ? Rien ! Rien ! Rien !

Il ne croit plus au bonheur terrestre… il aspire à la Mort qui sera pour lui, la porte ouverte de l’immortalité.

XIII


Chaque année, au soir du vendredi saint, l’audition des Sept Paroles du Christ à la cathédrale attire une foule considérable. Les uns y vont par piété, d’autres pour le plaisir d’entendre la musique. Entre les diverses parties de l’œuvre on intercale un sermon de circonstance. Cette année-là, un prêtre nouveau était chargé de commenter les Sept Paroles du Christ…

Quand il monta en chaire, très pâle, les traits émaciés d’un ascète, il regarda quelques instants la foule à ses pieds. Ses yeux, très noirs et très grands étaient tristes…

Les cheveux complètement blanchis donnaient à sa physionomie que des rides précoces ne parvenaient pas à vieillir un charme pénétrant. Les mains appuyées sur le rebord de la chaire, il se recueillit quelques instants, fit le signe de la croix, dans un geste ample et un peu théâtral, et commença : Mes frères…

Les auditeurs, les nerfs secoués l’instant d’avant par la musique, forcèrent leur attention et des milliers d’yeux se portèrent vers le prédicateur.

De sentir la pesanteur de tous ses regards humains, concentrés sur lui, le troubla un peu et ce fut d’une voix hésitante qu’il débuta…

Quelques-uns se demandèrent : pourquoi dans une circonstance aussi solennelle l’on avait choisi un homme si peu éloquent.

Mais quand, la voix s’étant raffermie, le prêtre soulevé par la grandeur du sujet qu’il traitait, se laissa emporter par son éloquence, un frémissement parcourut la foule des fidèles.

— Comme il connaît bien l’âme humaine, songeaient quelques-uns…

— Un second Lacordaire, pensaient d’autres.

— Quel est donc cet abbé et quel mystère cachent ces cheveux prématurément blanchis se demandèrent les jeunes femmes…

La voix vibrante, chaude, l’abbé parlait… Il parlait de l’Amour, tel que le conçoit le monde… de l’amour avec son cortège de désillusions…

Puis il parla de l’Amour du Christ pour l’Humanité, de cet amour qui l’avait poussé à souffrir toutes les humiliations, toutes les ignominies, et qui avait eu son dévouement suprême au sommet du Golgotha, dans le crucifiement d’un Dieu.

Les moins fervents se laissaient subjuguer malgré eux.

Pénétré de son sujet, le prédicateur animé d’une conviction profonde, trouvait des accents d’un pathétique tel qu’ils fouillaient les âmes, les faisant palpiter d’émotion.

Il termina dans une envolée si remplie d’éloquence, que les auditeurs oublieux de la majesté du lieu, applaudirent malgré eux, surpris du geste qu’ils accomplissaient… Ils étaient fascinés… électrisés…

Et chacun se demandait :

— Quel est donc ce prêtre nouveau ?

Le lendemain on pouvait lire dans les journaux l’entrefilet suivant :

« L’Abbé Armand Dubord, qui a pronon-