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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

des aspirations et des désirs plus élevés, c’est donc qu’immatérielle par essence elle n’a pour s’extérioriser que des moyens matériels : les sens. Or notre âme aspire vers l’infini et elle se manifeste par les sens qui sont des choses finies… Et il en vint à conclure que son âme était immortelle et que ce fut son tort de ne pas y croire et de limiter sa vie dans les bornes du monde terrestre. Ce Dieu qu’il s’était créé : l’Amour, était donc un Dieu bien imparfait…

Dans le temple de son cœur l’idole s’écroula.

Il continua le procès. À la barre de son raisonnement il cita l’Amitié. N’était-ce pas plutôt de la haine ! Car il détestait. Il le détestait, Lui, qui à la faveur de l’Amitié s’était introduit dans son foyer pour le ravager, le détruire. L’Amitié ! et un sourire de mépris passa sur ses lèvres.

Peut-il y avoir sur terre une amitié pure, désintéressée !

Un rien suffit à l’altérer ! Le choc des intérêts la brise ; le souffle de la passion la ternit.

Pourtant y avait-il deux êtres créés plus pour sympathiser ensemble. N’avaient-ils pas, Pierre Gervais et lui, les mêmes théories, les mêmes convictions, les mêmes principes.

Lâchement Gervais l’avait trompé, trahi…

Et l’Amitié, cette statue altière, tomba de son piédestal et s’effrita…

Mais d’autres idoles restaient debout : L’Amour paternel, la Gloire ! La Richesse. Où était sa fierté de père ! À quoi se résumait toute la tendresse qu’il voua à ce petit être, né de l’amour, et dont la chair provenait de sa chair à lui, et de la chair de l’épouse.

Un rien ! Une maladie bête l’avait terrassé, anéanti… Il reposait inerte sous quelques pieds de terre. Il n’était même plus. Seuls subsistaient de l’enfant quelques ossements… Les vers immondes avaient dévoré ce qu’il était…

Comme les précédentes la troisième idole s’effrita dans la poussière.

Et les deux autres ?

La Gloire altière, la Gloire le narguait.

Plus que l’Amour, plus que l’Amitié, plus que l’Amour paternel, la Gloire résiste au temps.

La Gloire ! Quelle ironie ! Un jour pourtant, il fut quelqu’un. Quelqu’un ? Qui donc le connaissait aujourd’hui ? Des millions et des millions d’êtres par centaines ignoraient jusqu’à son existence. Quelques satisfactions d’orgueil ! quelques griseries cérébrales et c’était tout. Cela valait-il la peine de lutter pour si peu de chose…

La richesse ! Il donnerait tout son avoir pour revivre sa vie.

Mais aurait-il de l’argent par milliards que tout cet argent ne pourrait arrêter, ne fut-ce qu’un seul instant sa marche vers la Mort.

La Mort seule comptait.

Le Massacre dans le Temple était complet. Il ne restait des idoles que des débris sur lesquels planaient l’ombre toute puissante de la Mort.

La Mort c’était l’aboutissement de tout la fin de tout. La vie qu’est-ce autre chose que la destruction et l’acheminement vers la Mort qui en est le but ultime.

De raisonnements en raisonnements, il en vint à se convaincre qu’il ne fallait vivre que pour mourir et que la préparation de la Mort en devait être la seule occupation.

Ces jouissances diverses que procurent la fortune et l’amour valent-elles les soucis et les chagrins que chacune traîne et accumule derrière elles ?

Ceux qu’il appelait des fous, ces abbés, ces religieux, ces moines étaient donc, en fin de compte les plus sages.

Pour eux, la mort prenait son sens véritable, une délivrance, une fête, une apothéose…

Après la mort qu’y avait-il ? Rien ? Non pas. Il y avait le mystère. De deux choses où c’était vrai ce qu’on lui apprit au collège, concernant la vie future, ou ce n’était pas vrai. Si c’était vrai ?

Durant trois jours il se débattit au milieu de ce doute lancinant…

XII


Une soirée d’automne, de fin septembre… Il est à peu près cinq heures et demie. Accoudé au rempart de pierre du belvédère, au sommet de la montagne, Armand Dubord regarde la ville. Les arbres sont jaunes, rouges, dorés, incarnats. Toutes les nuances, tous les tons se mêlent, se fondent…

Il y a dans l’atmosphère le calme des