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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

À l’arrière de la procession sur un brancard venait le cadavre.

Le jour était éblouissant de clarté, un vrai jour de fête.

Le cortège sortit de l’église et s’engagea dans le jardin pour se rendre au cimetière situé dans la cour intérieure.

Les lilas en fleurs embaumaient ; la vie exultait de la nature…

Nu-tête, chantant des cantiques, les moines avançaient lentement par les allées.

Cela ressemblait plutôt à une fête et le contraste était grand entre le jour printanier et le funèbre de la cérémonie.

Au cimetière, un trou immense, creux de six pieds, attendait son occupant.

Quatre compagnons de travail du défunt le descendirent dans la fosse tel quel, à l’aide de deux bandelettes qui lui ceinturaient le corps. Quelques bénédictions, des prières, des chants. Puis un frère, à l’aide d’une échelle, descendit dans le trou béant, rabaissa le capuchon, remonta et chacun se mit à la besogne de combler la fosse…

La terre tombait sur le corps, sur la figure, partout, et le recouvrait graduellement. Au bout de quelque temps seul un léger monticule indiqua que sous ces pieds de terre gisait une chose qui trois jours avant était un homme, une chose qui se mouvait, qui mangeait, qui dormait, qui pensait. Et Armand Dubord que ce spectacle impressionna s’en fut à sa chambre où tout le jour, il s’enferma. Le sens véritable de la mort lui apparut… le recommencement, l’entrée dans une vie nouvelle, dans la vraie vie…

Toute la tristesse inhérente partout ailleurs était abolie. Les cantiques avaient plutôt quelque chose de joyeux que de lugubre. La Mort, ici, se débarrassait de son attirail démoralisant…

Il en vint à se demander, s’il n’avait pas misérablement, et par sa faute gâché sa vie. Ne s’était-il pas constitué l’artisan de tous les malheurs qui se sont successivement abattus sur lui ?

Ces hommes qui vivaient sous le même toit que lui, d’une vie d’abnégation, ayant abdiqué jusqu’à leur propre personnalité n’étaient-ils pas dans le vrai ?

Faut-il donc qu’il y ait un attrait vers l’infini d’une puissance surhumaine pour que des êtres jeunes, beaux, fortunés, aillent s’enfouir dans la solitude, renonçant volontairement à toutes les joies terrestres. De ces moines qu’il voyait à la prière et au travail, plusieurs avaient connu la vie : d’aucuns étaient même avant leur entrée au monastère des professionnels pour qui l’avenir s’annonçait sous les plus brillants auspices.

Et volontairement ils avaient renoncé…

Qui donc était dans le vrai…

Et le doute le torturait chaque jour d’avantage…

Or, voilà qu’un soir peu de temps avant le jour fixé pour son départ, il fit, implacable, sévère comme un juge, le procès des idoles qu’il avait jadis adorées…

L’Amour ! Qu’est-ce que l’amour humain ? Et des réminiscences lui venaient des phrases de Lacordaire :

« Poursuivant l’Amour toute votre vie nous ne l’obtenons que bien imparfaitement et l’eussions-nous obtenu vivant que reste-t-il après la mort ».

Oui ! Que restait-il du sentiment profond que Madeleine lui avait inspiré et qu’il lui avait inspiré.

Et comme c’est fragile, l’Amour !

Il s’était juré d’être l’un à l’autre toute la vie, n’être qu’une âme, qu’un esprit, qu’un cœur, comme ils n’étaient qu’une même chair et qu’un même corps. Qu’avaient valu ces serments. Un rien, l’apparition dans la vie de l’épouse d’un autre être, l’appel des sens vers de nouvelles sensations et cet Amour, ce grand Amour sombrait dans l’Infamie et la honte. Maintenant il se rendait compte que les principes de religion dont il se moquait et qu’il avait travaillé à détruire aurait suffi à contre balancer l’influence de la matière.

Il se rappelait des détails de toutes sortes, des bribes de conversation qui lui ouvraient des horizons nouveaux. Il se rappelait une phrase d’une de ses lettres.

« Je t’aime, cher Armand, de toute la force de ma jeunesse et de tout mon cœur vibrant. Et je souffre de t’aimer. Même l’amour n’est pas tout. Il ne comble pas toutes mes aspirations. Il évoque en moi un monde d’infini. Quand je ferme mes bras sur toi c’est l’univers que je voudrais étreindre. C’est tout l’infini »…

Le sens lui apparaissait clairement de ses phrases. Lui-même, à certaines heures, n’avait-il pas éprouvé le fini des sentiments humains. Si l’âme ne peut pas s’épanouir librement, totalement, c’est donc qu’elle a