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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

— Je suis Armand Dubord, dit l’avocat au frère portier, qui lui vint ouvrir. Vous avez dû recevoir mon mot.

— Si vous voulez attendre une seconde, mon père hôtelier va venir.

Grand, très droit, la barbe noire taillée en pointe à la Henri IV, le père hôtelier salua le nouvel arrivant et le conduisit à sa chambre.

Elle était confortable et sommaire comme celle qu’il occupa quelques années auparavant au noviciat des Jésuites.

Elle donnait sur le jardin. Comme on était en juin et que la soirée était tiède, il venait par la fenêtre ouverte une exhalaison des fleurs où l’odeur du lilas fraîche, printanière, se mêlait à celle plus pénétrante des muguets.

— Je serai bien ici, pensa Dubord…

L’hôtelier lui demanda s’il avait soupé et lui offrit un verre de vin, de ce vin rouge foncé, riche en substance et en tanin que les moines fabriquent eux-mêmes et qui ravigote le cœur.

— Si vous aimez à assister aux offices, à huit heures il y a celle de la Vierge… Il lui indiqua la route pour se rendre au jubé de la chapelle.

— Demain matin, après déjeuner je passerai vous voir. Désirez-vous faire une retraite ?

— Pas précisément. Ce que je suis venu chercher ici, c’est le repos. Je ne dis pas non cependant…


La cloche dans le corridor annonça l’heure de l’office.

Le jubé à l’arrière de la chapelle était réservé aux visiteurs, aux retraitants, aux hôtes et aux familiers.

La chapelle immense et haute était éclairée faiblement…

Par les allées latérales les moines commencèrent d’entrer. De blanc vêtus, avec leur scapulaire noir qui descendait jusqu’à terre, les mains jointes sous les manches amples, ils défilèrent, deux par deux, s’agenouillant devant l’autel pour prendre place à leurs stalles accoutumées. Ils composaient un spectacle imposant.

Les lumières électriques autour d’une statue de la Vierge s’allumèrent qui composaient une guirlande de clarté. Puis l’on entendit une voix, grave, robuste, bien posée. une voix qui brisait ce silence où le mysticisme flottait, entonner le Parce Domine.

— « Parce Domine, parce populo tuo  », disait la voix.

Et en chœur d’autres voix, graves elles aussi, fondues, mêlées en une seule, répondirent :

— « Ne in aeternum irascaris nobis… »

Et les notes s’élevaient, elles montaient vers la statue de la vierge comme une offrande.

— « Parce Domine, parce populo tuo », reprit encore la voix de tantôt…

Et la même réponse, convaincue, solennelle, se fit entendre à nouveau…

— « Ne in aeternum irascaris nobis… »

Une troisième fois, la même supplication s’éleva dans l’air.

Le silence régna quelques instants.

Accoudé à la balustrade Armand Dubord rêvait. Il se sentait impressionné malgré lui, soulevé par une vague de mysticisme.

Il oublia qu’il y avait en dehors de l’enceinte de pierre qui l’abritait, un monde où se heurtaient les passions. Il oublia qu’au moment même il y avait des êtres qui luttaient, qui haïssaient, qui volaient, qui tuaient, qui forniquaient.

Il ne vivait que de la minute présente… Le calme s’infiltrait dans son âme y distillant ce que depuis longtemps il cherchait sans pouvoir l’obtenir : la paix…

— « Salve Regina »…

Et le chœur d’entonner sur le rythme grégorien « Mater misericordiae »…

Toute la cérémonie simple et solennelle à la fois revêtait un cachet d’émouvante beauté.

Cette nuit-là, Armand Dubord dormit paisiblement, et pour la première fois, depuis bien longtemps…

Un jour, on lui apprit qu’un frère coadjuteur venait de mourir. C’est le père hôtelier qui lui avait annoncé la nouvelle…

Exposé sur quatre planches, sans cercueil, sans bière, le mort n’avait au milieu de l’église que trois cierges à côté de lui. Il était vêtu de sa robe de bure habituelle, sa robe de travail.

Rien n’était lugubre dans cette mort. Il semblait plutôt reposer tranquillement.

Au matin de l’enterrement, quelques prières, quelques cantiques, et les moines se formèrent en rang de procession, un cierge à la main.