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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

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Personne ne le reconnaît plus dans les rues.

Comme ça a passé vite la gloire, la célébrité !

Comme il est loin le jour, où, la figure rayonnante, l’âme inondée de joie, confiant dans son étoile, maître de lui, ne doutant de rien, il allait dans la vie, fier comme un conquérant, salué, choyé, adulé…

Où est-il l’Armand Dubord de jadis !

Il n’y a plus à sa place qu’un pauvre être souffreteux, une loque humaine, et qui soupire après le repos, le repos final de la terre où s’endorment toutes les vicissitudes.

Et il envie le sort de sa Madeleine, et il envie le sort de son fils !

Il ne les reverra plus cependant !

Pourtant, à certaines heures, une voix dans le fond de sa conscience lui crie d’espérer.

Tout peut renaître !

Pour d’autres, pas pour lui !

Ah ! S’il croyait ! Croire à quoi ? Tout n’est-il pas néant ! La mort n’est-ce pas le néant !

Mais il a une âme ! Qu’est-ce que l’âme ! Que sont ses aspirations ? Où ira-t-elle cet âme ! Elle mourra comme son corps. Peut-elle mourir ? Non : elle se volatilisera dans l’Éther. Et après ?

Las de penser, il refuse alors de continuer à scruter ce problème de l’Infini…

À quoi bon ! Assez de soucis le tourmentent sans ajouter celui là… Mais sa certitude est ébranlée. L’édifice chancelle de son matérialisme… Les vieux ferments de foi catholique commencent à germer. L’hérédité, l’atavisme parlent qui le contredisent dans ses raisonnements et ses sophismes…

En rentrant à sa chambre après une promenade dans la montagne où tout le jour il a erré sans but, Armand Dubord trouva cette lettre…


Mon cher Armand,

« J’ai découpé pour toi, dans un vieux « modèle d’Éloquence » les deux pages incluses. Je te demande de les lire attentivement. Si les idées qui y sont exprimées choquent ce que tu appelles tes convictions laisse toi subjuguer par le charme du style. Tu ne risques rien si ce n’est de passer un quart d’heure intéressant, dans le commerce de l’homme qui a peut être mieux compris et analysé ce sentiment humain et divin qu’on appelle l’amour. Quelques-uns de ces soirs j’arrêterai te saluer et si le cœur t’en dit, tu seras toujours le bienvenu au presbytère.

JULES M. »

La lettre contenait des discours de Lacordaire sur Jésus-Christ, roi des cœurs, l’une des pages les plus éloquentes jamais écrite.

« Poursuivant l’amour toute notre vie, nous ne l’obtenons que bien imparfaitement, et, l’eussions nous obtenu vivant que nous reste-t-il après la mort… »

Et, dans un style oratoire aux envolées qui soulèvent comme des vagues d’harmonie Lacordaire développait cette idée de l’inanité des sentiments humains.

« Pourtant, continua-t-il, il y a un « homme dont l’amour a résisté au temps », un homme que depuis des milliers d’années, des millions et des millions d’adorateurs chérissent, et il concluait par ce « c’est vous ô Jésus, qui m’arrachez ces accents que je ne me connaissais pas et qui me trouble lui-même. »

Sa lecture terminée, Armand Dubord resta longtemps, la tête appuyé sur le dossier de son fauteuil, à rêver à ces pages…

Que se passait-il en lui ? Il était incapable de définir lui-même son état d’âme présent… mais il y avait dans son raisonnement, des fissures pour où la vérité s’infiltrait.

XI


Toutes les phases du doute, il les connut.

Du scepticisme il passait à l’agnosticisme.

Il n’avait plus la certitude de rien… Ce travail sourd d’une âme à la recherche du vrai, s’était opéré à son insu…

Il ne refusait plus de croire ; il voulait croire. Trop de gens autour de lui puisaient la consolation dans l’abandon total de leur moi aux mains de la Divinité… Il s’acheminait vers l’absolu… Il combla par l’étude le vide de ses jours : visite au presbytère, discussions, lectures, etc., il ne négligeait rien.

Déjà le tumulte s’apaisait qui jadis lui bouleversait l’âme. Une mansuétude douce l’envahissait graduellement.