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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

— Madeleine, je t’emmène avec moi… tout de suite…

Pierre Gervais ricana une seconde fois…

— Je te la cède avec plaisir… J’en suis las…

Depuis quelques minutes, l’avocat examinait le revolver déposé sur la table, attendant l’instant de s’en emparer.

Insensiblement il s’en était rapproché. Étendre la main… l’arme était en sa possession… En moins d’une seconde il s’en rendit maître, et braqua le canon sur l’adversaire.

— Un mot encore ! et je t’abats comme un chien que tu es… Ah ! tu pâlis, séducteur de femmes… N’avances pas, je tire… Je tire…

Une détonation… un juron… La balle atteignit Gervais à l’épaule…

— Madeleine, appelles un taxi, il y a un train dans une heure…

— Maintenant, toi, Pierre Gervais, à la première alerte, je te fais arrêter et écrouer…

On entendit quelques minutes plus tard le ronflement d’un moteur.

Le couple prit place dans l’auto. Une heure après, ils roulaient vers Montréal…

— Madeleine, le passé est aboli… Nous allons recueillir les débris de notre bonheur et de ces débris nous referons la vie…

Elle dit :

— J’ai peur, Armand, que ce soit au-dessus de nos forces. Je suis si lasse… si lasse…

Elle mourut deux mois après.

X


Par une journée d’automne, une journée pâle, brumeuse, où le soleil avait peine à percer la grisaille de l’atmosphère, Armand Dubord conduisit à son dernier repos celle qui fut la mère de son fils.

Elle était morte de langueur. Ce qu’elle souffrit aux mains de l’homme qui l’arracha à ses devoirs d’épouse et de mère, personne ne le sut, personne ne le saura plus.

La honte qui l’accablait, qui la suivait partout, la réprobation des siens, et la douleur d’avoir perdu son fils jointe au remords cuisant de n’avoir pas été là pour le garder, le veiller, le disputer jalousement à la Grande Accapareuse, tout cela avait ravagé sa mûre jeunesse, l’étiolant comme une fleur que le soleil ne caresse plus.

Le pardon du mari, sa tendresse empressée, auréolèrent ses derniers jours d’un peu de bonheur.

L’abbé Mousseau la prépara à mourir. Elle s’endormit un soir pour ne plus se réveiller…

Ses dernières paroles furent une demande de pardon.

— Armand… j’ai été bien coupable…

— Tu sais bien que je te pardonnes de tout mon cœur.

Sa main mourante frôla la sienne. Elle tressaillit faiblement, et retomba inerte.

Figés à jamais, les traits du visage gardèrent la sérénité des derniers moments.

Les funérailles furent simples comme elle l’avait demandé.

Seul, le mari y assista avec quelques dévotes qui priaient, matinalement dans l’église…

On était en novembre. Une buée blanchâtre recouvrait la terre… Les arbres n’avaient plus de feuilles.

Et dans l’air il y avait de la tristesse d’épandu qui rendait plus triste ce jour triste.

Avant de plonger le cercueil dans la fosse, l’abbé dit quelques prières.

Deux fossoyeurs descendirent le coffre… et commencèrent leur besogne…

Les pelletées de terres, en tombant sur le bois, rendaient un son mat, lugubre…

Une pluie fine tomba, une pluie froide, qui pénétrait…

Le trou achevait d’être comblé…

Bientôt la dernière pelletée recouvrit la fosse…

Depuis, trois années longues se sont écoulées. Armand Dubord a liquidé toutes ses affaires et s’est embarqué sur un paquebot à destination de l’Europe.

Partout, il a promené son chagrin qui le suit comme son ombre.

Son visage s’est émacié, ses joues se sont creusées.

Les cheveux blancs après avoir conquis les tempes continuent leur marche progressive. Il a essayé de s’amuser, de s’étourdir. Les nuits d’orgie ne lui ont apporté qu’un surcroit d’ennui. Quand il est gris, l’image de sa femme le poursuit davantage. Il souffre avec une acuité plus grande. Les autres femmes qu’il a rencontrées lui ont mesurer mieux la perte de son bonheur.

Maintenant, lassé de ses pérégrinations, il est retourné à Montréal.