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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

qui se passe ; ils ne sortent jamais. Puis, lui, c’est un homme qui ne parle pas… Il conduit bien sa besogne ; et c’est tout…

L’auto s’engagea dans l’allée étroite qui conduisait au chalet.

Le cœur de l’avocat battait bien fort, si fort, qu’il dut, de sa main appuyée sur la poitrine, en comprimer les battements.

L’auto stoppa. Il solda la course, et anxieux, il gravit les quatre marches du perron, frappa à la porte, et attendit quelques secondes.

Étaient-ce bien des secondes ou des heures ?

Une main tourna la poignée.

Il tremblait. Tout son sang reflua au cerveau…

La porte s’ouvrit…

Il dut se soutenir pour ne pas tomber tant son trouble était grand.

Madeleine devint pâle, excessivement pâle, et cela accentua le hâle de ses yeux.

Sans pouvoir se parler, ils demeurèrent en face l’un de l’autre.

— Comme il a vieilli, songea-t-elle…

— Comme elle a changée, songea-t-il…

Finalement pour briser ce silence dont la pesanteur les écrasait, les annihilait, il dit :

— Madeleine, me reconnais-tu ?

Elle balbutia :

— Armand ! oui je te reconnais bien…

Et la porte sur eux se referma…

Tout à coup, secouée par la peur, elle s’écria, les yeux voilées de larmes, la figure torturée…

— Ah ! S’il revenait ?

— S’il revenait ? Qui.

— Lui.

— Lui ?

— Pierre.

— Tu as peur ?…

— Oui !… j’en ai peur… bien peur… Elle courut se blottir dans les bras de son mari :

— Me pardonneras-tu jamais ? Armand… Comme je suis malheureuse !… comme je suis misérable !

Il se sentit enclin à la pitié, une pitié émue où se mêlait une infinie tristesse…

— Et notre fils ? Armand.

— Il est mort…

Ces mots tombèrent… lugubrement… Alors, elle pleura… s’abandonnant toute entière, la tête sur sa poitrine… Elle éprouvait pour la première fois depuis longtemps la douceur de l’épanchement.

Il la laissait pleurer, se contentant de caresser ses cheveux…

— Tu reviens avec moi ? Madeleine…

— Oui ! Amènes moi, n’importe où… Je ne suis plus digne de toi… Me pardonnes-tu ?

— Oui ! Mon amour, je te pardonne…

De nouveau elle se jeta dans ses bras et sanglota… désespérément.

Il ne savait quoi dire pour apaiser cette souffrance… il était mal à l’aise et souffrait lui-même de la voir souffrir…

D’un geste brusque, la porte s’ouvrit.

Pierre Gervais, apparut…

Il envisageait d’un coup d’œil rapide, la scène, toute la scène. Un rictus mauvais erra sur ses lèvres :

— Armand Dubord, s’esclaffa-t-il…

— Lui-même… pour te tuer.

Et au même instant, l’avocat sortit de sa poche, un revolver et menaça son ex ami.

Rapide et prompt, avant même que Dubord ait eu le temps d’appuyer sur la gâchette il s’élança sur lui, et saisissant le poignet qu’il étreignit entre ses doigts d’acier… il le força à lâcher l’arme.

La lutte n’était pas égale entre eux. Amaigri, épuisé par ces longs mois de désespérance sourde qui le minait, l’avocat ne pouvait se mesurer avec l’amant de sa femme.

Impuissant, désarmé, acculé au mur, il se contenta de regarder l’ingénieur avec mépris.

— Tu as raison… Tu es trop lâche pour que je te tue…

Il lui cracha à la figure…

L’autre bondit… mais se maîtrisa aussitôt.

L’avocat avait recouvré lui aussi son sang froid. Dans son regard, qui se posait sur Pierre Gervais, il y avait tant de fermeté, et d’énergie que ce dernier resta cloué sur place n’osant le braver.

— Tu es lâche… je te répète que tu es un lâche… tu es même trop lâche pour frapper…

— Armand !

— Tu peux me tuer si tu veux… Tu as la force physique. C’est tout ce qu’il te reste la force physique… Quant à la force morale, tu n’en as pas…

Et se retournant vers sa femme :