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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

— « Au fond, se disait-il, c’est peut être ma faute. »

Il lui venait des regrets de l’instruction préconisée et donnée…

Il commençait, mais faiblement à se rendre compte que lui aussi, était coupable… que sans ses conseils, sans l’émancipation qu’il lui avait voulue, elle serait aujourd’hui, la vaillante et fidèle gardienne de son foyer, l’inspiratrice de chacune de ses œuvres, et, en même temps leur récompense.

Et la nuit vint… Il avala deux pastilles de véronal et se retira dans son lit. Lourdement, il dormit d’un sommeil de brute qui lui laissa au réveil la tête lourde, la langue épaisse et un goût de cendres dans la bouche.

Le soleil pénétrait dans le wagon, un soleil d’automne, doré.

Le train gravissait des montagnes. On entendait haleter la locomotive. Une fumée grise s’en échappait que le vent chassait derrière elle. Cette fumée obscurcissait le paysage en passant devant les fenêtres. Aux éclaircies il attirait et par la variété du décor et par la somptuosité des couleurs.

Toutes les tonalités se mêlaient en une symphonie bruyante, et chaude… Les rouges incarnats se mêlaient aux jaunes. Ça et là, des bosquets d’épinettes, de sapins et de cyprès faisaient des diversions.

Des lacs aux eaux claires miraient le ciel bleu et les nuages blancs qui y voguaient voluptueusement.

À certains endroits, dans les altitudes la vue embrassait des étendues immenses, paysages grandioses, durs, et empreints de pittoresque sauvage. Des stations de chantiers, une division de chemin de fer où le train stoppa, quelques villages de colons, deux cabanes rustiques faites de troncs d’arbres… Puis… X… la petite ville minière grouillante d’activité, énervée et énervante, remplie d’une population affolée par la lièvre de l’or…

L’avocat descendit… Il regarda autour de lui, les paupières plissées. Il n’aperçut pas ceux qu’il cherchait…

Un homme, tournant et retournant une chique de tabac dans le coin de sa gueule, s’approcha de lui :

— Un taxi ?…

— Savez-vous où demeure M. MacPherson.

— Le gérant de la « Golden Sun ».

— Oui.

— À un mille de la ville…

— Conduisez moi.

— Vos bagages ?

— Je n’en ai pas…

— Suivez-moi.

Il traversa dans toute sa longueur le quai de la gare. Des hommes de toutes nationalités s’y côtoyaient : des polonais, des russes, des italiens. Et ces êtres humains se mêlaient, s’entre mêlaient occupés d’une même pensée : faire de l’argent.

Pour qui n’a pas vécu dans les pays miniers « la fièvre de l’or » peut paraître une image. Mais c’est une véritable frénésie, une maladie… Les millions sont là à portée de la main. Il ne s’agit que de les saisir, se les approprier… Armand Dubord monta dans le taxi, un « Ford » vénérable, presque sans vernis et aussi sans coussins.

Dans cet attirail sommaire, il traversa la ville…

Peu après, il s’engagea dans la campagne…

Partout, autour de lui, la nature présentait un spectacle de désolation… des forêts ravagées par le feu, seuls, des troncs d’arbres calcinés dont les uns, tendaient vers l’azur leurs branches décharnées, indiquaient l’existence antérieure.

Le tumulte de ses pensées l’empêchait de voir autour de lui. Il était replié en lui-même, essayant de démêler les sentiments qui l’oppressaient. Car c’était une véritable oppression physique.

Que dirait-il tantôt en la voyant ? Qu’éprouverait-il ?…

Il fut tiré de ses réflexions par le chauffeur qui lui dit :

— Voyez-vous le « shac » au bord du lac… C’est là que reste MacPherson.

Alors, il lui demanda, tardant d’entendre parler de celle qui incarna, à une période donnée, ses idéals et ses rêves…

— Est-ce qu’il demeure avec sa femme ?

— Oui monsieur.

— Quelle sorte de femme est-ce ?

Le chauffeur toussa un peu.

— Ah ! monsieur ! c’est une belle femme… mais vous savez ajouta-t-il, réticent, MacPherson, c’est un « rough »… on l’aime à la mine, on le craint bien plus…

— Est-elle heureuse avec lui ?

— Ça, on pourrait pas dire. La pauvre créature a l’air malade, toujours triste. Elle n’a pas de couleurs… on sait pas ce