Page:Paquin - Le massacre dans le temple, 1928.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

Il fut surpris de constater que ce repos lui avait fait du bien. Il était un peu ébranlé dans ses convictions… Il ne voulut pas l’admettre.

Seulement une force plus grande était en lui qui lui faisait mieux supporter les malheurs qui l’accablaient.

IX


L’abbé Mousseau durant ce temps, avait multiplié démarches sur démarches pour découvrir la retraite du couple adultère. Cela, avec un doigté et une discrétion surprenante chez un homme pour qui le commerce du monde était lettre morte.

Il apprit que l’ingénieur avait changé de nom et qu’il était établi dans une petite ville minière du nord de l’Ontario, où il dirigeait une importante exploitation… Il attendit le moment propice pour faire part à l’avocat du succès de ses recherches. Il fallait que celui-ci fut plus fort, plus maître de lui-même, capable de contrôler mieux ses émotions.

Sur les bords du lac, retiré de quelques arpents du village de X… Pierre Gervais connu maintenant sous le nom de James MacPherson avait établi son domicile…

La maison n’était pas coquette. Malgré la présence féminine, elle manquait de ce je ne sais quoi d’indéfinissable qui la caractérise. Le propriétaire avait imposé ses goûts. Les pièces en étaient confortables, certes, mais sans aucun luxe… Tout respirait la virilité. On y sentait l’influence prépondérante du mâle, du volontaire, habitué au commandement. Aux murs, comme ornements, des trophées de chasses, à terre comme tapis des peaux de bêtes, d’ours, d’orignal et de loup…

L’homme et la femme étaient dégoûtés l’un de l’autre. L’ardeur première épuisée, les avait trouvés froids et comme des ennemis. Ils se subissaient, ou plutôt elle le subissait, se prêtant à ses caprices, n’osant récriminer. Elle n’était dans ses mains qu’une petite chose frêle qu’il pouvait briser à son gré… Il lui arrivait parfois de regretter les jours anciens, les jours de bonheur calme. Orgueilleuse, elle ne voulait pas retourner, malgré l’appel de la maternité et la voix du sang qui criait en elle…

Elle avait peur, peur de son mari, peur de son amant…

Elle souffrait…

Mais Gervais la tenait. Il la tenait par les sens… Comme il la désirait aux soirs de lassitude, elle le désirait… Mais après… Las des satisfactions charnelles, animales, ils redevenaient ennemis.

Il la rudoyait, la traitant comme un instrument de plaisirs. Combien de nuits n’avaient-elles pas passé à pleurer, à regretter l’amour et la considération de son mari.

Depuis au-delà de deux ans, cette vie, cet enfer, continuait…

Pauvre créature effacée, ballotée entre sa conscience et sa chair ! Pauvre souffre-douleur sur qui l’homme apaisait ses colères, allant une fois jusqu’à lever la main sur elle, à la souffleter en pleine figure !

Sa santé dépérissait ! Les couleurs de ses joues n’étaient plus qu’artificielles…

Dans le train, enfoncé dans un fauteuil, sous l’effet de drogues déprimantes, Armand Dubord roulait vers des pays nouveaux, vers l’inconnu, le grand Inconnu dont on ne sait s’il signifie la ruine du bonheur ou sa recrudescence…

Dans le fumoir, indifférent aux propos qui s’échangeaient autour de lui, histoires gaies de commis voyageurs, considérations sur la politique contemporaine, il grillait cigarettes sur cigarettes, s’intoxiquant de nicotine…

Il ne voulait pas penser à ce qui l’attendait là-bas, au bout de ces rails parallèles où dans un halètement de bête fauve la locomotive roulait entraînant derrière elle, les wagons de voyageurs.

Était-ce la conviction que son bonheur était fini, qu’il allait chercher là-bas, où l’espérance d’en réunir les tronçons, et de se créer pour les jours à venir, un peu de félicité ?

Les étapes lui semblaient longues… Il avait hâte de parvenir à X… une hâte fébrile.

Et pourtant il savait qu’il devait passer une nuit en chemin de fer et que le lendemain seulement vers l’heure du midi, il parviendrait à destination… Dans sa poche, il tâtait la crosse d’un revolver…

La pensée de tuer l’obsédait. La tuer elle ? Non pas ! Qui ? La tuer c’était se priver du plaisir de la revoir et il voulait, de toute sa force, la ramener vers lui. Il voulait refermer si fort ses deux bras sur elle que jamais personne au monde ne pourrait venir l’y arracher.