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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

tourne à la matière. C’est fini. Complètement fini…

Et il continuait à se promener, lamentable chose…

Et l’abbé Mousseau avait beau essayer de le convaincre que la mort n’était qu’un commencement, il ne voulait pas le croire.

Il répétait sans cesse, inlassablement, obstinément :

— C’est fini ! C’est à jamais fini. Jamais plus je ne le reverrai.

Et des mouvements de révolte venaient qui le crispaient…

— Ah ! que j’envie ceux qui croient ! Au moins ils ont cette ressource ultime. Pour moi, la mort c’est la mort. Il n’y a pas d’immortalité ! C’est une illusion ! Mais comme je voudrais l’avoir cette illusion…

— Tu auras cette certitude, si tu le veux. Tu n’as qu’à le vouloir…

L’abbé essaya de le convaincre. L’heure n’était pas encore venue…

Et les jours coulèrent mornes, terriblement mornes…

Selon une expression populaire Armand Dubord disparut de la circulation…

Il se mit à boire. Il buvait jusqu’à perdre la raison totalement…

Celui qui l’aurait rencontré, hâve, accoudé à une table, dans une taverne quelconque, n’aurait pas reconnu le brillant criminaliste d’autrefois.

Il était devenu une loque humaine, une épave misérable sans plus d’ambitions, sans plus de désirs, sans plus d’orgueil. Quand il rentrait chez lui le soir, le chapeau rabattu sur les yeux, l’œil hagard, titubant, il soliloquait… Il gesticulait comme s’il s’adressait à un interlocuteur imaginaire… « Si, elle pouvait revenir ! Tout recommencerait. Il deviendrait peut-être l’Armand Dubord de jadis… Elle partagerait son deuil. Peut être de nouveau une autre petite tête blonde s’offrirait aux caresses de ses mains… peut-être la maison s’emplirait-elle d’un autre gazouillement… »

Où était-elle ? Le bonheur lui souriait-il ? Peut-il y avoir du bonheur dans le crime ? Mais non ! Ce n’était pas un crime qu’elle avait commis. Elle n’avait fait que suivre les théories qu’il avait inculquées.

Par un dernier reste de fierté, pour ne pas couvrir sa famille de la honte dont il s’abreuvait par sa déchéance, il avait changé de nom. Seule une personne connaissait son « alias »…

Une journée qu’il avait bu plus que d’habitude, on le ramassa ivre mort dans une ruelle.

En lisant le journal du matin, l’abbé Mousseau aperçut son nom sur la liste des pochards arrêtés et qui devaient comparaître devant le recorder.

— Quelle pitié ! songea-t-il, et en lui-même il se félicita d’avoir su résister aux attraits de l’amour humain. « Voilà ce qu’une femme peut faire d’un homme si énergique soit-il. »

Et en lui-même il forma le projet d’arrêter sur le seuil du gouffre l’ami qui menaçait de sombrer.

Quels moyens prendrait-il ? Il ne le savait pas encore mais il était sûr d’en trouver un et qui serait efficace.

Dans la cellule de la rue Gosford, il trouva Armand Dubord.

Il avait buté contre la chaîne du trottoir et s’était fendu la lèvre… il avait la figure pleine de sang, les habits tachés de poussière.

Dans l’œil terne, vide, aucune trace d’intelligence. Seul s’y reflétait le sommeil de la bête. Les cheveux ébouriffés collaient sur le front…

Le prêtre obtint du recorder que son ami passa en chambre. Il se porta garant de sa conduite future, et eut ainsi la satisfaction d’empêcher sa réputation d’être salie. Personne ne l’avait reconnu.

Quand ils furent au presbytère, et que les fumées de l’ivresse se furent dissipées :

— Écoute-moi bien, Armand lui dit-il. Tu vas faire ce que je te dis. Puisque tu n’as plus de volonté, je vais essayer d’en avoir pour toi.

— De quel droit ?

— Du droit de mon amitié.

— L’Amitié ? Ah !… Ah !… Tu crois cela…

— Tu y croyais toi aussi. C’était l’une de tes idoles… Nous ne sommes pas pour recommencer cette discussion. Tu sombres dans la neurasthénie la plus noire, celle qui conduit à la folie… C’est à la folie que tu t’achemines…

— Et après ?…

— Est-ce un homme de ta trempe qui parle ainsi ? À ton âge, une vie n’est jamais brisée.