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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

— Tu croiras. Les voies de la Providence sont impénétrables.

Quand Armand Dubord sortit du presbytère, il était un peu ragaillardi et prêt à affronter la vie à nouveau.

VIII


Les jours suivants, brisé par l’inaction, il fut en proie à la mélancolie… Il passait les journées, seul, dans son cabinet de travail, incapable d’aucun effort intellectuel, incapable même de lire. Les seuls bons moments qu’il connaissait étaient ceux passés auprès de l’enfant. Il ne voulait voir, ni recevoir personne. Il vivait en reclus.

Le soir pour chasser le spleen, il buvait, il buvait jusqu’à l’hébétude.

— C’est si bon, ne plus penser, se disait-il à lui-même pour excuser sa conduite…

Un matin la bonne lui apprit que l’enfant était malade.

Il se rendit à sa chambre, et l’examina attentivement.

Ce qu’il constata le stupéfia… Il avait la gorge blanche et il respirait difficilement.

— Depuis combien de temps est-il malade ?

— Depuis hier, il a vomi toute la journée. J’ai pensé que c’était une indigestion…

Dubord appela le médecin.

Celui-ci diagnostiqua la diphtérie.

Il lui donna immédiatement une injection… et attendit…

L’enfant suffoquait.

Le médecin lui introduisit des tubes dans la gorge…

Il continua à suffoquer.

Le médecin se tourna vers le père et haussa les épaules…

— J’ai bien peur, dit-il…

— Faites tout ce que vous pourrez. Il faut que vous le sauviez.

— Il me reste une ressource, la seule… l’opération de la trachéotomie…

Il pratiqua l’opération… sans succès. La suffocation continua… l’enfant devint bleu, puis violet…

Quelques heures après, il râla son dernier râle…

Armand Dubord lança un cri féroce de malédiction, un blasphème, et se jeta comme un fou sur la petite masse de chair qui gisait dans le lit.

Il eut peur que sa raison ne chavire…

C’était le dernier coup de massue sur sa tête, celui qui achève…

Autour de lui, tout tourna… une oppression l’étreignit, à la gorge, son cœur lui fit mal… Il étouffa…

Il essaya de se lever du lit. Il était étourdi.

Il chambranla. Les meubles et les objets de la chambre lui paraissaient embrouillés… Il n’en pouvait distinguer les contours. Il s’écrasa sur le parquet tout d’une masse. On dut le transporter inanimé dans son lit…

Une semaine durant le délire fit vaciller sa raison…

Une garde-malade veillait sans cesse à son chevet. Trois fois par jour le médecin venait le voir.

Chaque fois que son ministère lui accordait quelque répit l’abbé Mousseau venait s’informer de ses nouvelles…

Avec une tendresse presque fraternelle, cet homme sensible, le veillait, le soignait, faisait des vœux pour sa guérison.

Des paroles incohérentes, des jurons, des blasphèmes sortaient des lèvres du malade.

Peu après, il retombait dans un affaissement morne… secoué par des hoquets convulsifs. Et puis les paroles incohérentes à nouveau se pressaient sur ses lèvres :

— C’est elle qui l’a tué… Mon enfant ! mon seul enfant… Ah ! la vache… non… Madeleine, mon unique amour… Pourquoi ne viens-tu pas… Qu’ont-ils fait de mon fils… Ils l’ont porté en terre et c’est fini…

Quand Armand Dubord revint à lui, il était méconnaissable, pitoyable à voir. Il avait vieilli d’une année par jour. Ses cheveux sur les tempes étaient blancs… Il avait les joues émaciées… les yeux creux… sa première pensée fut de s’informer de l’enfant…

Avec des ménagements, de très grands ménagements, l’abbé Mousseau lui expliqua ce qui était survenu.

Le désespoir d’Armand Dubord lui était pénible à voir.

Il se promenait dans les pièces de la maison, se soutenant la tête de ses deux mains.

— C’est fini, Jules. Fini. Jamais je ne le reverrai plus…

— Mais oui, mon pauvre Armand, tu le reverras un jour.

— Non ! moi je crois que la mort c’est la fin, la fin des fins, la fin de tout. Il re-