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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

journaux étaient remplies du récit de l’attentat. Les reporters se perdaient en commentaires. Chacun énonçait sa théorie. Les limiers sur les dents suivaient les pistes les plus fantaisistes.

Finalement, on apprit l’arrestation d’un personnage haut coté à Montréal. Ce fut comme un coup de foudre. Personne ne crut à la culpabilité de l’accusé. D’ailleurs, seules contre lui, militaient des preuves de circonstances.

Il choisit pour le défendre, Armand Dubord.

Ce dernier accepta avec empressement. L’homme ne ménageait pas ses deniers. Il lui fallait à tout prix sortir de cette impasse. La cause s’annonçait belle. L’avocat, heureux de cette diversion s’y lança corps et âme…

Durant une semaine, le procès s’instruisit… Une pléthore de témoins prouvèrent un alibi…

Dans les journaux, en grosses manchettes, première page, s’étalaient les comptes-rendus du procès… La foule se pressait aux abords du Palais de Justice… Le prétoire à chaque séance se remplissait à sa capacité.

Jamais Dubord ne fut plus brillant, plus éloquent…

Il travaillait jour et nuit, trouvant dans cette ardue besogne, un peu d’apaisement. Le sort d’un autre dans ses mains, il n’avait pas le temps de penser à ses malheurs personnels.

Le résultat fut ce qu’il attendait. Son homme fut acquitté au milieu des applaudissements et ses amis le portèrent en triomphe.

Convaincu de la culpabilité du personnage qu’il défendait, il se dégoûta de sa profession pour avoir fait acquitter la plus grande canaille qu’il ait connue, et consacrer la vertu de l’être dont l’hypocrisie n’avait d’égale que les vices qu’elle cachait.

Comme il avait délaissé la politique il délaissa la pratique du Droit et cela à tout jamais. Il était riche… et plus rien n’alimentait son ambition…

Communicatif de sa nature, il alla trouver l’abbé Mousseau et lui conta ses scrupules.

L’autre le félicita de sa décision, puisqu’il agissait selon sa conscience. La conscience parlait, c’était donc un point gagné.

— Mon pauvre ami ! Que vas-tu faire à présent.

— Attendre, attendre son retour.

— Tu y penses donc toujours !

— Toujours. Vingt-quatre heures par jour. J’y pense en me levant le matin, le soir en me couchant…

Pour toute réponse, il sentit une main sympathique serrer la sienne avec effusion.

— Pourvu que tu ne te décourages pas…

— Des fois, j’ai peur. Si tu savais comme je l’ai aimée, comme je l’aime encore.

Épuisé par son travail récent ce lui était un soulagement que de se confier à quelqu’un.

Comme un pénitent fait au prêtre, il ouvrit son âme, il la mit à nu…

— Ah ! si tu l’avais connue ! tu me comprendrais…

Le moment n’était pas venu de parler de surnaturel, de parler des consolations de la Foi…

— Et remarques que pour moi j’ai mis toutes mes ambitions à posséder le bonheur terrestre. Il m’est arrivé de t’envier. Toi, tu n’as pas de passions… Tu es heureux… négativement. C’est peut être la seule forme du bonheur. Je me surprends à faire des désirs insensés. Sais-tu à quel point je l’aime ? Je l’aime au point de préférer être malheureux avec elle…

— Laisses le temps accomplir son œuvre. Te rappelles-tu ces vers que je t’avais lus une fois au collège :


« La tranquille habitude aux mains silencieuses
Panse de jour en jour nos plus grandes blessures
Elle étend sur elles ses bandelettes sûres. »


Le temps est le grand médecin. Il a raison de tout. « Tempus edax rerum ! » Souviens-toi de cet adage latin.

— Tu en parles à ton aise… Tu n’as peut être pas tort. Ce soir je me sens faible… J’ai quasiment envie de pleurer.

— Si cela peut te soulager.

— Non ce serait indigne d’un homme… Jules, j’ai déjà ri de toi, mais malgré toutes nos divergences d’opinions, je te considère comme mon meilleur ami, mon seul ami…

— Et je le suis… Demain, à la messe, je vais prier pour toi.

— Inutile. Je ne crois plus.