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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

présence, il s’était rendu compte combien il l’aimait. Pourvu qu’elle soit là, près de lui, pourvu qu’il puisse voir ses yeux, pourvu qu’il puisse entendre sa voix, peu lui importait qu’elle soit déchue, qu’elle soit souillée. Il était prêt à tous les compromis, à tous les pardons.

Pour tromper le vide de sa vie, le lendemain même de son retour à Montréal, il partit en voyage… pour trois semaines. Une espérance secrète de la rencontrer au cours de ses pérégrinations le stimulait. Rien qu’à songer qu’il pourrait à un carrefour de route voir sa silhouette frêle se dessiner devant ses yeux, lui causait une émotion qui le secouait tout entier. Que ferait-il, que dirait-il, s’il l’apercevait. S’il l’apercevait, il irait droit à elle, et pas un homme au monde ne l’empêcherait de reconquérir son bien perdu. Où était-elle ?

Voilà où se dressait l’angoissant de la question…

Il partit donc un soir à bord du rapide de New-York. Il croyait en laissant Montréal, y laisser son ennui, y laisser son chagrin. Mais son ennui le suivait, son chagrin le suivait.

Chaque jour le vide devenait plus lourd, plus pesant à supporter.

Dans les cités populeuses, grouillantes de monde, frémissantes d’activité, il se sentait isolé…

Rien ne l’intéressait de ce qu’il voyait. Au milieu d’un opéra, au Metropolitan, il sortit, le premier acte terminé, souffrant trop de garder pour lui, les impressions qui l’assaillait.

Et voilà que le souvenir de l’enfant se mit à l’obséder… Il eut hâte tout à coup de le revoir.

Une semaine après il retournait, désireux de demander au travail la paix et le calme qu’il recherchait. Peut être dans la frénésie du labeur, pourrait-il retrouver l’oubli, l’oubli qui console, qui apaise.

Mais en pénétrant dans la maison, il se sentit écrasé à nouveau par le poids du souvenir. Elle était partout. Il la revoyait assise à ses côtés dans le cabinet de travail, il la revoyait avec ses grands yeux et l’auréole de ses cheveux auburn.

La sensibilité le gagnait malgré lui. Il s’enferma et donna libre cours aux larmes. Il essaya de se ressaisir et eut hâte d’être à demain pour se lancer corps et âme dans les affaires…

Il lutta… il lutta désespéramment… Les jours passaient… elle ne revenait pas…

Seul, de ses amis, l’abbé Mousseau le fréquentait. Il n’en voulait voir aucun autre. Il n’avait plus confiance en l’amitié…

Ses affaires, grâce au travail ardu qu’il s’imposait prospérèrent rapidement… Son bureau devenait de plus en plus achalandé…

Il devenait de plus en plus un personnage. Comme le temps approchait bientôt des élections plusieurs lui demandèrent de se porter candidat…

Il refusa d’abord ; les délégations se suivirent, de plus en plus nombreuses. On insista… l’on fit une pression…

Finalement, séduit par le mirage de la gloire, il accepta…

Son coup d’essai dans la politique fut un véritable triomphe. L’adversaire perdit son dépôt.

Les partisans de Dubord s’en réjouirent. On le disait déjà ministrable. À la première session, il s’imposa à l’attention de tout le pays. Son éloquence passionnée, chaude, vibrante, sa dialectique serrée en firent un « debater » dangereux…

La gloire cherchée passionnément venait à lui…

Il n’était pas heureux…

Toujours, il aimait Madeleine. Il l’aimait plus qu’autrefois… espérant ardemment son retour.

Elle ne revenait pas…

Puis un jour, lassé de la politique, il résigna son siège.

Ce fut une stupeur générale. On essaya de le faire revenir sur sa décision.

Peine perdue. Elle fut irrévocable, définitive. Il commençait à se rassasier de la gloire. Elle n’était pas suffisante pour combler ses appétits de bonheur.

Comme c’est fragile le bonheur ici-bas ! Il n’avait fallu que la visite d’un ami pour qu’il s’écroulât lamentablement.

Une fois, il eut l’intention de s’adresser à un bureau de détective et de faire faire des recherches. Le projet aussitôt ébauché tomba. Il ne voulait mettre personne dans la confidence. Son ridicule était trop grand sans le rendre public.

Une cause importante, un meurtre suivi de vol commis dans des circonstances mystérieuses défraya durant deux semaines les conversations publiques. Les colonnes des