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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

osciller le consentement. Des détails d’éducation, des particularités de la formation première négligées ou accentuées forment un faisceau de mobiles d’une importance capitale.

Pour étrange que paraisse la conduite de Madeleine Boisvert, oubliant son mari, oubliant son enfant pour suivre l’impulsion des sens et du cœur, elle a son explication, — non son excuse — dans les idées puisées à l’école de son mari.

Pour contrebalancer l’influence de la chair, pour contrecarrer les besoins de la passion, il faut des barrières morales, solides, puissantes, tenaces.

Si forte que soit la créature, même si le sentiment de l’honneur est développé chez elle, il arrive un moment où toutes les voix de la conscience sont presqu’abolies, et seul le poids des responsabilités, doublé d’une aide surnaturelle, peut retenir sur la pente l’être qui glisse… Seule une éducation forte, des principes solidement inculqués retiennent dans le paroxysme des instincts déchaînés.

Parmi les catégories de jeunes filles qu’Armand Dubord détestait les plus, l’on pouvait ranger celles communément appelées les « oies blanches ». Il ne concevait pas qu’une femme soit ignorante des questions sexuelles. Chaque fois que l’occasion se présentait, et quand elle ne se présentait pas, il la faisait naître, il ne se gênait pas de critiquer l’éducation telle que donnée dans nos couvents et nos maisons d’éducation.

La femme, comme l’homme devait tout connaître, tout savoir, posséder exactement les mêmes privilèges, jouir des mêmes liberté. De la sorte elle était prémunie contre les dangers où succombent malheureusement de pures jeunes filles que leur ignorance rend imprudentes.

Quand il eut épousé Madeleine Boisvert, il s’étudia à la façonner à son goût. Ses convictions religieuses auxquelles il ne s’acharna pas d’abord, il les sapa graduellement, utilisant dans cet assaut le scepticisme et l’ironie.

Il voulait la débarrasser de ces « préjugés », indignes à son avis de personne bien pensantes et d’êtres libres.

Se faisant le conseiller de ses lectures, il la guida pour arriver à ses buts, insensiblement et avec un doigté digne d’un meilleur objectif. Les romans mondains, ceux écrits par les romanciers de la génération précédente, où l’intrigue, savamment compliquée, a pour thème l’éternelle triangle domestique, les livres encore plus osés, ceux où grâce à l’ironie et à l’esprit de l’auteur l’on tournait en ridicule les dévots et les bigotes, — sans se douter de la différence énorme qu’il y a entre ces deux catégories de personnes, — il les lui avait tous fait lire. Il ne venait pas une troupe de passage interpréter ce que l’on nous sert, hélas trop couramment, du Bernstein, du Wolf ou du Bataille, sans qu’il l’incitât à assister à ces représentations. Ce que Madeleine voyait dans ce théâtre d’auteurs sémites en vogue, c’était l’apothéose de l’adultère, la consécration du ménage à trois, la sanctification de l’Amour libre.

Elle en était venu à croire, et à son insu, qu’une femme qui n’avait pas d’amant, n’était pas une femme intéressante et que le droit à l’amour est un droit sacré qui détruit toutes les barrières.

Ayant perdu, grâce à la complicité du mari, les éléments de catholicisme et de christianisme qui auraient suffi, même à eux seuls, à la contenir dans la voie droite, elle était sans doute disposée à s’abandonner sans retours, le jour où la Passion, la grande Passion qui ravage l’âme soufflerait dans son cœur.

Ces ferments obscurs germeraient en elle qui lui offrirait une excuse, du moins un prétexte…

C’était tout cela qui avait agi obscurément et l’avait fait se décider, à abandonner son foyer pour suivre l’homme qui soudainement venait de se dresser dans sa vie…

Le mari, maintenant, commençait à se rendre compte qu’il était peut être en faute… et il en venait à regretter l’éducation dont il s’était fait le propagateur.

VII


Les grandes douleurs sont muettes.

Une fois sa crise terminée, Armand Dubord, le jour même de la trahison de son ami, et de l’abandon de sa femme, ferma le chalet qu’il n’habitait que depuis quelques jours, et réintégra son domicile à Montréal.

Il décida d’arranger sa vie d’une façon nouvelle, et d’attendre le retour de l’infidèle. Car il savait qu’elle reviendrait. Il était prêt à lui pardonner. Depuis qu’elle n’emplissait plus la maison de sa chère