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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

tout dit. Que je ne te rencontre plus jamais ; cette fois là je te tuerai…

— À moins que je ne te tue avant… Adieu.

— Adieu.

Le lendemain, Madeleine s’enfuyait avec Pierre Gervais.

VI


Quand il lut la missive laconique et brutale, laissée sous enveloppe à son adresse, Armand Dubord demeura d’abord hébété. Cela ne dura qu’un instant. Bientôt la rage s’installa dans son âme. Il bouillait ; il était furieux, pris du désir de briser quelque chose. Puis il se sentit humilié, rapetissé. Il lui semblait qu’il baissait dans son propre estime…

« Le Destin est plus que ma propre volonté. J’ai lutté jusqu’au bout. Je t’abandonnes parce qu’il le faut. »

Il lut et relut cent fois ces phrases. Elles étaient comme autant de pointes d’acier rougis qu’on lui entrait dans le cœur… dans la tête…

Et voici que, l’obsédant, la vision d’elle s’implanta… Il se rappelait avec une acuité extraordinaire tous les détails de sa physionomie, la forme de sa bouche, la couleur de ses yeux, le teint de ses joues… Et, comme jamais encore, il ne l’avait éprouvé, il avait le besoin charnel d’elle. Plus jamais, il n’entendrait sa voix claire chantante, plus jamais il ne connaîtra la saveur de ses baisers et le goût de ses caresses !…

Il se sentait les membres lourds… la tête vide.

Il allait dans la maison, arpentant les pièces, nerveusement. Il s’asseyait un instant, se relevait aussitôt…

Dans la chambre à coucher, quand il y pénétra l’émotion l’étrangla si fortement qu’il crut défaillir. Le lit était encore défait du matin. Il s’y jeta, embrassa les oreillers, s’imaginant qu’ils gardaient encore la douceur de ces joues.

Était-ce bien vrai qu’elle était partie ? Partie pour ne jamais revenir ?

Ce soir, elle, sa chose à lui, son âme, sera dans les bras d’un autre…

Il tâta le revolver dans sa poche. S’il allait le tuer ! Non ! Maintenant il est trop tard. C’est hier qu’il aurait dû accomplir son acte de justicier.

Les dents claquèrent dans sa bouche… Fini ? À jamais fini ! Écroulé, son bonheur ? Madeleine ! sa Madeleine ! son adorée ! L’inspiratrice de chaque jour !… Dégradée au rang des adultères ! si elle revenait ?… Oui elle reviendrait ! Elle se ressaisirait ! Et l’espoir, si faible soit-il, de son retour, le calma un peu. Mais elle serait souillée ! Ce ne serait plus sa Madeleine d’autrefois. Si elle revenait, il lui cracherait au visage… Non ! Il lui pardonnerait. Il passerait l’éponge sur le passé et recommencerait à vivre, ne gardant de cette aventure que le souvenir d’un cauchemar.

Au fait tout cela n’était peut-être qu’un cauchemar, un affreux cauchemar…

Non ! il était bien éveillé ! C’était bien son cœur, c’était bien sa tête, c’était bien ses sens qui souffraient.

Il relut la lettre encore une fois.

« Le Destin est plus fort que ma propre volonté. J’ai lutté jusqu’au bout. Je t’abandonne parce qu’il le faut. »

Ces mots lui faisait trop mal. Il froissa le papier et le jeta loin de lui.

La douleur l’assommait. La rage impuissante, sans rien pour l’assouvir, le minait.

Des larmes montèrent à ses yeux. Il les refoula, ne voulant pas pleurer.

« Elle ne mérite pas que l’on verse une seule larme pour elle… »

Sa volonté tendue, bandée comme un arc, il décréta de n’y plus songer, de l’oublier. Seulement quand il le verrait lui, lui, le coupable, le vrai coupable, il lui ferait payer chèrement les minutes atroces qu’il venait de vivre.

Quant à elle, il savait qu’elle reviendrait… une fois sa passion repue… Il y avait l’enfant. Tout l’amour dédaigné, bafoué qu’il recelait dans son cœur, il le porta sur cette petite tête innocente qu’une femme misérable abandonnait…

Il le prit dans ses bras, le cajola, embrassa sa petite peau, parfum tendre et frais, et son amour paternel décuplé, centuplé, il oublia son chagrin, dans un sentiment immense de pitié et d’affection qui lui noya le cœur.


En remontant aux causes premières d’un acte, l’on fait souvent cette constatation qu’elles sont plus diverses et complexes qu’elles n’en ont l’air, de prime abord. Des impressions perçues jadis, oubliées au fond du subconscient agissent dans les moments de grande crise, avec une ténacité qui fait