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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

avec d’autant plus de puissance qu’avant toi, jamais une femme n’a fait battre mon cœur ! Je t’aime avec toute la ferveur de celui qui aime pour la première fois… de celui qui a été sevré de tendresse et qui se rend compte…

Il n’eut pas le temps de finir sa tirade. Dans l’embrassure le la porte, une ombre se dressait.

Livide, se soutenant du coude au chambranle, Armand Dubord écoutait.

Pierre vit passer une lueur de crainte dans l’œil de son aimée.

Il se retourna.

Il n’y eut pas un muscle qui tressaillit dans le visage du mari. Tout au plus pouvait-on y lire un sentiment de lassitude et de tristesse, une tristesse immense.

Il fit signe à l’ingénieur de le suivre.

— Pierre, lui dit-il, quand ils furent seuls, je te croyais un ami, je te croyais un homme d’honneur. Me suis-je trompé ?

L’autre eut un ricanement amer.

— Je ne suis plus ton ami. Je te déteste cordialement. Je te hais.

— Alors, c’est vrai ?

Pour toute réponse, il n’eut qu’un silence dédaigneux.

Tenaillé par la jalousie, il leva le bras pour frapper, mais aussitôt l’ingénieur lui saisit le poignet et le lui rabattit.

— Armand, c’est vrai que je te hais, que je te déteste. Je te déteste comme je n’ai jamais détesté.

Abasourdi, assommé par la soudaineté du choc, n’osant en croire ses yeux, n’osant en croire ses oreilles, Armand Dubord s’écrasa sur une chaise, et, les deux tempes comprimées entre les paumes de ses mains, il fixa sur le plancher, un point toujours le même.

Au bout de quelques instants, il se leva. De pâle qu’il était, son visage se colora. Le rouge lui montait jusqu’à la racine des cheveux. Il empoigna l’amant de sa femme par les basques de son habit et le regarda dans les yeux.

— Pierre, réponds moi. Il faut que tu me répondes… Si je voulais, je pourrais t’abattre, te tuer comme un chien. J’en ai le droit. Pas un jury au monde ne me condamnerait. Est-ce que ma femme t’aime ?

— Elle m’aime… Et… je l’aime…

— Voilà la façon dont tu respectes les droits de l’hospitalité ! Tu profites de la confiance que j’ai en toi, pour me tromper, me tromper indignement, bassement, lâchement. Sais-tu ce que tu es ? Tu es l’être le plus vil que je connaisse.

— Et après ? fit la voix ironique.

— Après ?… tu n’es qu’un voleur, un voleur ignoble… Tu as pénétré chez moi… tu m’as volé l’affection de ma femme… tu as brisé mon foyer… tu as détruit mon bonheur.

Ils étaient exaspérés. Comme deux adversaires, ils se mesuraient, se toisaient… leurs narines palpitaient, frémissantes… ils haletaient, leurs voix devenaient rauques.

Pierre Gervais, avant qu’il ait pu le parer, reçut un coup de poing en pleine figure.

Il ne broncha pas. Ses lèvres demeurèrent jointes, convulsivement, mais un mince filet de sang s’en écoulait qui descendait le long du menton, en le striant de rouge.

Il se contrôla.

— Frappe encore si tu veux… C’est un signe de faiblesse… Je te quitterai sous peu pour ne jamais te revoir. Mais avant, il faut que tu saches ceci. Tu m’as traité de voleur… Rappelles-toi, nos théories communes, « arriver par tous les moyens… prendre notre bien où nous le trouvons. » J’aime ta femme. Elle m’aime… Je l’aime irrésistiblement… Elle m’est devenue nécessaire comme l’air que je respire. Je la désire avec passion, avec ivresse, avec frénésie… Je ne conçois plus la vie sans elle…

— Et moi…

— Toi, tu es l’obstacle, l’ennemi. Tu te dresses au travers de ma route.

— Comme toi au travers de la mienne.

— Encore une fois, rappelles-toi nos théories… Tu connais la solution qui s’impose… l’un de nous est de trop. Brise moi ou je te brise…

— De quel droit ?

— Du droit de mon amour. Et maintenant, je te fais une confidence : je n’ai jamais été l’amant de ta femme.

Il ajouta d’une voix sourde.

— Je le serai… Tu t’arroges le droit de disposer d’elle, d’en faire ta chose, parce que tu l’as connue avant moi, sans songer que nous étions créés l’un pour l’autre… La preuve c’est qu’entre nous deux, c’est moi qu’elle va choisir.

— Je relève ton défi. Nous nous sommes