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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

Lui, ne pouvait que répéter : « Madeleine… Madeleine !… Ah ! que je t’aime ! que je t’aime ! »

Soudain, dur, implacable, il se redressa.

— Madame ! ce que nous faisons là est indigne !… Je ne puis pas le… nous ne pouvons pas le tromper… Vous êtes liés l’un à l’autre, indissolublement.

Elle tomba anéantie sur le banc, presque sans vie.

Lui, debout, la contempla avec pitié.

Comme c’est peu de chose, la nature humaine ! Comme un rien suffit à désemparer, à briser deux vies.

Il serra le poing, et, intérieurement, maudit la fatalité.

— Madame, donnez-moi la main comme à un ami loyal, loyal envers vous, loyal envers Armand. Tous deux, nous sommes victime d’une faiblesse passagère… Demain, je vous le jure, je partirai pour jamais. Je trouverai un prétexte. Me pardonnez-vous ?

— C’est à moi de vous le demander. Vous avez raison. Nous ne pouvons être l’un à l’autre… Je ne puis pas… je ne pourrai jamais vous appartenir… Je vous oublierai… Vous m’oublierez.

Pierre Gervais s’enfonça dans la montagne. Tout le jour, il marcha, grimpant, escaladant, cherchant les endroits les plus difficiles à gravir. Un désarroi profond régnait en lui. Il ne pensait pas, il ne pouvait pas penser. Tant ce qu’il cherchait, c’était la fatigue, la bonne fatigue physique. Il ne voulait cet après-midi, qu’être une chose végétative.

Toutes les beautés du paysage le laissèrent indifférent. Il marchait… il marchait sans but.

Le soleil épuisa la gamme de ses couleurs.

La noirceur s’étendit sur la création. Elle enveloppa les arbres, les rochers, les montagnes, le lac.

Seul, le chalet sur ses bords se reconnaissait aux lumières des fenêtres. Elles étendaient sur l’eau deux fines lanières d’or.

Le feu qui le rongeait s’était apaisé. Un calme relatif s’infiltrait en lui. Il jugea le temps venu de réintégrer l’amicale retraite.

À peine eut-il pénétré sur la propriété que la bonne effarée courut à lui.

— Monsieur Gervais… monsieur Gervais.

Il appréhenda une catastrophe.

Que lui importait après tout ? Rien pourrait-il survenir de pire que ce qui était déjà ?

Il était emporté dans un remous de passion. Il avait beau se débattre. Le courant était plus fort qui le conduisait à la chute.

— Que voulez-vous ? questionna-t-il, indifférent.

— Il y a que Madame est bien malade. Elle délire presque.

— Pourquoi n’alliez vous pas chercher le médecin ?

— Je pouvais pas laisser l’enfant seul.

Retourner près d’elle, c’était anéantir la décision prise de rompre dès le début ces relations… c’était rallumer la passion violente qu’il avait réussi à étouffer mais qui n’en couvait pas moins sous la cendre.

L’ingénieur hésita quelques instants. Deux voix en lui parlèrent. Il n’en écouta qu’une.

— Occupez-vous de l’enfant. Je vais aller voir Madame Dubord.

En entrant dans la chambre, où elle gisait sur le lit, suffocante de sanglots, il éprouva une sensation étrange où se mêlait de la férocité.

Il était repris, entièrement.

Chacune de ses résolutions s’écroulaient.

Il en voulait à Madeleine, à Armand, à lui-même, à la société, à Dieu.

Sa tête oscilla dans un geste qui signifiait : « à quoi bon ! » et il courut se blottir au pied du lit.

— Non Madeleine, je ne t’abandonnerai jamais, jamais… Ne pleures plus… Tu sais bien que je suis à toi… à toi pour la vie.

Il ne songea pas un instant que l’heure sonnerait bientôt du retour de l’avocat, il ne songea pas aux conséquences, terribles, épouvantables de la folie qu’il commettait dans un moment d’aberration.

Que lui importait tout cela ! Oui que lui importait ! Dorénavant, il n’était plus qu’une épave, qu’un jouet entre les mains de la Destinée. Ah ! comme il la maudissait cette Destinée. Dorénavant, il ne lui faudrait reculer devant rien pour assouvir ce désir de bonheur qui était en lui, ce désir dont la violence l’affolait, l’étourdissait comme sous l’effet d’un choc brutal et continu. Et il embrassait avec effusion la main pendante, heureux de constater que les larmes séchaient, et que le cher visage se rassérénait.

— Oui, Madeleine, je t’aime ! je t’aime