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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

meurer tout le temps convenu auprès de celle qu’il aimait. Il se contenterait de la voir, de l’entendre. Il se berçait de raisonnements illusoires. S’il partait plus tôt, il ferait peut-être naître des soupçons dans l’esprit du mari. Et puis, il se croyait assez fort pour dominer la situation, pour résister à l’attrait de la chair. Il ne se doutait pas que chaque jour raccourcissait la chaîne, resserrait les mailles qui les tiendraient prisonniers de leurs passions.

Le temps des vacances arriva.

Armand Dubord prenait un mois de congé. Il avait loué un chalet tout meublé, dans les Laurentides, sur le bord d’un lac.

L’homme, la femme et l’ami partirent.

Aveuglé et par son amour, et par son amitié, l’avocat ne se doutait de rien. Il était joyeux, exubérant d’humeur. Ah ! tous les projets qu’il fit pour ces quatre semaines de farniente ! Les parties de pêches ! Les excursions dans les montagnes avoisinantes !

Leur villégiature débutait sous les meilleurs auspices : un temps de fête, une féérie de lumière.

Le décor ? Un nid d’amoureux : de la pelouse, des arbres, des montagnes, de l’eau.

Pierre Gervais ne se départit pas un instant de sa ligne de conduite. Seul, un observateur averti aurait pu se rendre compte de ce qui se tramait entre Madeleine et lui…

Elle passait des heures absorbées dans des rêveries langoureuses ; il devenait nerveux, irascible, moins maître de lui. La lutte commençait à l’épuiser. Il y eut des nuits, où il ne put fermer l’œil, où il avait la tête en feu, le corps fiévreux. Ce n’était plus du sang qui coulait dans ses artères mais de la poix fondue, liquide, bouillante. Ils étaient dans le nord depuis une semaine quand l’avocat reçut un télégramme le demandant à Montréal pour le lendemain. L’ingénieur s’offrit à l’accompagner.

Animé de sa même inébranlable confiance Dubord refusa.

— La compagnie de ma femme t’ennuie-t-elle ?

— Très bien, je reste… Tu l’auras voulu.

Et le lendemain, après le départ du train, ils étaient seuls, seuls pour la journée. Dans la voiture qui les ramenait de la gare où ils étaient allé reconduire Armand, ils ne se dirent pas un mot !

Mais il remarqua qu’elle tremblait, qu’elle tremblait comme une feuille sous le vent. Il remarqua qu’elle était pâle, presqu’exsangue…

Et il sentit que sa gorge à lui devenait sèche et que son cœur pompait et refoulait avec violence le sang de ses artères.

Quand ils descendirent devant le chalet, elle lui dit :

— Soyez dans le jardin, tantôt, au Kiosque près du lac.

— J’y serai, répondit-il d’une voix sourde.

Elle monta à sa chambre et revint peu après. Elle avait changé de toilette et revêtu une robe de jersey bleu pâle.

Il l’attendait.

Il la trouva belle et désirable.

Elle se jeta dans ses bras, toute fragile comme une enfant, et au milieu des larmes qui abondamment coulaient au long des joues, elle soupira.

— Pierre ! Pierre ! Qu’avez-vous fait de moi ? Pourquoi vous ai-je connue ?

Elle défaillait : tout son corps souple s’abandonnait entre les bras robustes de son amant.

— Pierre qu’avez-vous fait de moi ? Qu’avez-vous fait de moi ?… J’étais heureuse avant le soir où vous êtes venu chez nous.

— Et pourquoi ne l’êtes vous plus ?

Sa voix avait pris une inflexion très douce qui le surprit lui-même.

— Parce que je vous aime… je vous aime… malgré moi, malgré vous, même si vous vouliez m’empêcher de vous aimer… Vous ne voyez donc pas que je vous aime et cet amour insensé me consume et dévore ma vie.

— Et moi, Madeleine, je vous aime plus que vous m’aimez… Je vous aime comme un insensé…

Il noya sa bouche dans l’or de ses cheveux. Il humait le parfum de sa chevelure. Il se délectait de cette odeur de femme qui grise, qui peut mener aux pires folies, aux pires turpitudes, qui peut mener jusqu’au crime.

— Je ne puis vivre sans toi… Je te porte en moi, j’ai beau essayer de penser à autre chose, toujours, Pierre, mon Pierre, je vois tes yeux gris me poursuivre, se fixer étrangement sur moi, et me brûler.