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LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

glise… Tu as des scrupules ?… Je t’avertis que je vais agir consciencieusement. J’irai me confesser, bien que cela me répugne… Je le ferai sérieusement. Je tacherai de m’imprégner des meilleurs sentiments et même de retrouver pour cet acte toute la ferveur et toute la candeur de mon enfance… Tu acceptes ?…

— Je ne puis pas te le refuser.

Une dernière poignée de main, chaude, cordiale, et les amis se séparèrent.

L’abbé gardait toujours de ses visites une impression d’amertume et de tristesse.

Il avait la foi du charbonnier, une foi solide, tenace. Ses divergences d’idées avec Armand Dubord, l’absence de conviction religieuse de ce dernier l’affligeaient et le peinaient, parce qu’il l’aimait sincèrement…

Mais il espérait qu’un jour… Et puis, l’autre traversait encore la crise de la vingtième année…

Avec le temps les vieux ferments de foi germeraient qui feraient éclore la moisson spirituelle.

IV


Un matin de juin, en la basilique, Armand Dubord unit sa destinée à celle de Madeleine Boisvert.

La journée était tendre, caressante. Le soleil lui-même semblait en joie. Il dispersait amoureusement sur la ville, l’or de ses rayons. À l’intérieur de l’église, une foule nombreuse se pressait. L’orgue chantait. Dans l’âme de Dubord, la vie chantait plus fort. Il était radieux, fier comme un conquérant. Dans sa poitrine, son cœur battait, fougueusement.

Après les inévitables réceptions, mais qu’il abrégeât, il sauta dans un auto et avec celle, qui, désormais, partagerait sa vie, il laissa la Cité-fiévreuse pour fuir au loin dans la solitude et le calme des montagnes. Durant quinze jours le toit rustique d’un chalet abrita son bonheur. Il vécut dans un rêve, une ivresse continue.

Et puis, la vie recommença. Il habitait dans Outremont un joli petit cottage, meublé avec goût.

Dans le cabinet de travail qu’il s’était aménagé, ils passaient leurs soirées, lui, à étudier et préparer ses causes, elle, à lire, à peindre, et à broder, mais à ses côtés, toujours. De temps à autre, il abandonnait son travail, se levait, allait retrouver Madeleine. Il lui prenait la tête à deux mains, la regardait longuement dans les yeux, lui caressait les cheveux et sur ses lèvres fraîches, posait les siennes en un baiser ardent.

Et les jours passaient, fugitifs…

Un dimanche, qui était l’anniversaire de leur mariage, il lui proposa une promenade au loin, dans sa famille.

Depuis un mois, il était possesseur d’un auto, une superbe petite routière, puissante, rapide.

Ils partirent au matin, joyeux, exubérants, gais, parce que la vie était bonne, et que leurs jours tous pareils et jamais monotones étaient faits de bonheur.

Une fois la ville franchie et qu’ils s’engagèrent sur la grande route bordée d’arbres énormes, tout près de la rivière qui versait sa fraîcheur, il arrêta le moteur, enlaça sa femme, l’attira à lui, et doucement, câlinement, avec une ferveur de jeune amoureux il lui demanda, bas, tout bas à l’oreille :

— Madeleine, Madeleine d’amour, m’aimes-tu ?

Elle ne répondit pas, se contentant de lever vers lui ses grands yeux frangés d’or.

Il répéta la même question.

Alors, à son tour, elle se pencha à son oreille, et lui murmura un secret… Son secret. Il leva les yeux vers elle. Il y avait dans son regard l’orgueil des conquérants quand ils ont pris des villes, des savants quand ils ont arraché leurs secrets à la nature, des artistes quand ils ont créé une œuvre. Leurs mains s’étreignirent… longuement. Puis, il se pencha, le buste en avant, et mit le moteur en marche. Il haleta et, comme un bolide, s’élança sur la route, ivre de vitesse.

La griserie de l’homme affolait la machine. Dubord exultait. D’avoir entendu Madeleine lui confier ses espérances d’une maternité prochaine, fit couler dans ses artères, plus vif et plus rapide, son sang qui brûlait. Il se sentait pris de vertige…

Le vent les fouettait au visage.

Un virement brusque faillit faire capoter l’auto.

La jeune femme, peureuse, lui étreignit le bras.

— Armand… sois prudent

Mais lui, s’exclama :

— Je vais être père ! Je vais être père !