Page:Paquin - Le massacre dans le temple, 1928.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
LE MASSACRE DANS LE TEMPLE

sion… Je ne me suis jamais contenté du second rang… Et puis je veux atteindre à la gloire et puis à la richesse et puis à la puissance… Pardessus tout… je veux ton amour… Mon idéal… Mon Dieu… Mon grand Dieu… c’est toi… Tu as confiance en moi, Madeleine ?… Tu crois que je vais réaliser ce rêve ?… que je vais le vivre ?

— Je le crois.

— Avec tes chers yeux pour phare, je vais aller dans la Vie, laissant derrière moi un sillage éblouissant… je ne doute de rien puisque tu m’aimes… Quiconque se posera au travers de ma route, je le briserai… Mon bien, je le prends où je le trouve… Je n’ai pas de scrupules, et j’admire le peuple anglais pour sa devise « What we have, we hold » et j’ajoute : « Ce que je n’ai pas, je m’en empare. »

Ils étaient en face du Ritz. Un laquais, en livrée galonnée d’or fit tourner la porte. Ils entrèrent dans l’hôtel et se dirigèrent vers le « Palm Court ». L’orchestre jouait la deuxième danse hongroise de Brahms.

Ils s’installèrent à une petite table qu’éclairait discrètement une lampe à abat-jour crème.

Et, pendant que continuait la musique ils écoutaient en eux le poème ardent de la vie que leur jeunesse chantait.

III


Discrètement, trois coups sur la porte brisèrent le silence. Dubord se leva de la table où il lisait « Le Mercure de France » et alla ouvrir.

— L’Abbé ! s’exclama-t-il, à l’apparition du visiteur. Et il se précipita vers lui, lui souriant cordialement, les deux mains tendues.

— Je suis heureux de te voir !… Tes visites se font rares ! Tu me manques !

Pâle, le regard ardent, révélant une vie intérieure intense, les membres grêles dans sa soutane mal taillée, l’abbé Jules Mousseau, vicaire à la paroisse de St-X… lui rendit son étreinte et s’installa à la table où l’instant d’avant, travaillait Dubord.

C’était un ancien confrère de classe. Depuis l’Adieu à l’Alma Mater, bien qu’ayant choisi des voies différentes ils n’avaient cessé de se voir régulièrement, de s’estimer et d’entretenir ensemble, les relations les plus amicales, tout en étant diamétralement opposés quant à leurs principes moraux.

L’abbé, sévère pour lui-même était très indulgent pour les autres. Il comprenait la faiblesse humaine, et sans l’excuser, faisait la part des circonstances.

Bien que Dubord se vantât de ne croire à rien, ni à Dieu, ni à diable, l’abbé Mousseau ne cessait de le fréquenter et de l’aimer. Il priait pour lui, espérant qu’un jour les écailles tomberaient de ses yeux et qu’il verrait la vérité face à face.

— Je viens te féliciter de tes succès. Les journaux ne parlent que de toi. Te voilà presqu’un grand homme.

— Je te remercie. Mais il y a un autre succès bien plus grand que celui qui est apparent que j’ai remporté.

— Et lequel ?

— Je me suis fiancé hier soir avec la seule femme que j’aime et que je convoite…

— Avec qui ?

— Madeleine Boisvert.

— Connais pas.

— Tu ne la connais pas ?… je te plains. C’est l’être de grâce et de charme la plus parfaite que je connaisse…

L’abbé se contenta de sourire.

— Cela te fait rire. Réellement tu es à plaindre. Et je ne comprends pas la vie que tu mènes… une vie sans amour. Est-ce une vie ? Il n’y a qu’une chose qui compte, mon vieux Jules, dans le monde. C’est l’amour.

Le même sourire indulgent erra de nouveau sur ses lèvres.

— Oui ! je te plains, surtout quand je contemple nos deux vies… la tienne, rangée, monotone, sans luttes… Vivre ignoré, sans ambition ! Quelle tristesse ! Ne pas boire à la coupe la plus capiteuse, celle qui procure l’ivresse des sens. Faire aujourd’hui ce que tu as fait hier, et demain, recommencer… Dans quelques années, tu auras une cure et tu vivras insoucieux et insouciant, dans ton presbytère, comme un rat dans son fromage de Hollande.

C’était l’un des plaisirs de Dubord que de plaisanter l’abbé sur sa profession. Il aimait à le scandaliser. Mais l’autre ne relevait presque jamais ce que ses propos avaient d’irrévérencieux… Il savait le fond bon et excusait cet anticléricalisme de surface. Brusquer les événements n’amène jamais de résultats heureux.

Pour faire dévier la conversation, il a-