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Près de la rue Craig un édifice en pierre renferme les bureaux. Dans l’espace libre à côté, stationnaient des autos. Il en remarqua une plus riche que les autres : une limousine.

Aussitôt dans son esprit, passa la vision rapide de la femme jeune, élégante, et charmeuse, qui, un dimanche, rue Sherbrooke, le salua au passage.

Ses lèvres se serrèrent en une grimace, et un instant, dans son regard, une petite lueur fauve séjourna, où il y avait, concentrée, une haine féroce. Il éprouva l’arrière goût des fugitifs baisers d’autrefois.

Il se l’imagina telle qu’elle était durant ces jours d’insouciance, où tout entier, il s’abandonnait à un rêve fou de bonheur. Il se l’imagina aujourd’hui dans le luxe de sa demeure, vivant sa vie de femme adulée, comblée, recherchée, respirant comme un encens les hommages qui montaient vers elle.

Il eut, en lui, la sensation de son impuissance. Jamais, il ne pourrait l’atteindre dans son refuge de richesse…

Il appela à la rescousse son énergie et son orgueil. Il jeta un regard de défi à l’imposante institution qui le narguait de toute sa prospérité et se jura à nouveau de n’avoir de cesse tant qu’il n’aurait emmené à sa merci celui et celle qui l’avaient frustré de son bonheur.

Et en regagnant sa chambre cet après-midi-là, il cherchait dans son cerveau, un moyen de frapper, de frapper juste, implacablement.

Il lui tardait de lancer le trait décisif. Il avait une hâte folle de la voir à son tour, suppliante, l’implorer comme lui jadis avait imploré.

Quand il arriva chez lui, les journaux étaient sur sa table. Il les prit, et comme chaque soir, consultât la page des finances.

Un rapport attira son attention : celui des opérations de la Fonderie Dollard. Il étudia avec soin, comme un général d’armée, fait sur la carte, le pays qu’il veut prendre.

Il constata que c’était avec les compagnies de navigation que transigeaient les LeMoyne, père et fils.

Aussitôt, le projet vague qu’il nourrissait se développa, prit corps. Sa ligne de conduite en fut définitivement tracée. Cela prendra du temps… mais un jour…

Et pour mieux savourer la perspective de leur déchéance, il se ferma les yeux.

Sans attendre à demain, il commença de mettre à exécution le plan élaboré.

Il téléphona à Janvier Brossard, lui demandant de passer le voir immédiatement.

Une demi-heure ne s’était pas écoulée que le courtier en immeubles frappait à sa porte.

À brûle pourpoint, Duval lui expliqua le but de cette entrevue.

— Je désire m’intéresser dans les affaires maritimes. Es-tu capable de me trouver un propriétaire de bateau, en besoin d’argent, qui consentirait à prendre un associé.

— Ça se trouve.

— Voici ce que j’ai pensé pour t’aider. Publie une annonce dans le journal, rédigé à peu près comme suit : « Homme avec capital de $100 000 ou même $200 000 si tu veux, désirerait exploiter de moitié, un service de transport par voie d’eau entre Montréal et Québec ». En tous les cas quelque chose dans ce genre-là…

— Je vais y voir immédiatement. Je te ferai rédiger une annonce qui paraîtra demain soir…

— Si tu trouves quelques petits bateaux à acheter à bon compte pour du comptant, laisse le moi savoir…

— Tes projets ?

— Fonder une ligne de navigation entre Montréal et Québec.

— Tu ne pourras pas rivaliser avec les Fluviale. Ces gens-là sont trop fort pour toi.

— Peux-tu me nommer une entreprise que j’ai raté ?

— C’est vrai que tu es un homme chanceux…

— Chanceux ? Non. Je veux, et quand je veux, je veux.

Il songea à part lui qu’une fois il avait voulu… inutilement…

Il poursuivit…

— Quand peux-tu me trouver ce que je demande.

— D’ici une semaine.

— Entendu ?

— Entendu.

Comme sa décision subite lui commandait beaucoup de travail, il se leva, signifiant à son visiteur que tout était dit entre eux.

Il s’installa à sa table et toute la nuit, il échafauda calculs par dessus calculs, plans par dessus plans.

Le lendemain, il vendait tous ces stocks convertissant en argent liquide, le capital qu’il possédait.

Janvier Brossard ne tarda guère à trouver ce qu’on lui demandait. Ses ramifications d’affaires s’étendaient un peu partout. L’im-