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Les meubles étaient légers de pur style Louis XV. Il y avait à la muraille, un portrait de Germaine… Sur une table, au centre, celui d’un jeune homme. Il n’y fit guère attention, et s’absorba en extase, dans la contemplation de la jeune fille.

— Mademoiselle Germaine n’y est pas, Monsieur.

— Ah !

Il blêmit.

— Dites-lui que je reviendrai ce soir et que je tiens absolument à la voir puisque je repars cette nuit même.

Il était désemparé. Il avait l’air piteux du chasseur qui revient bredouille.

Le soir il recommença la même démarche… avec le même succès.

Germaine n’y était pas !

Une inquiétude l’envahit ! Non… cela ne se pouvait pas… ce n’était pas possible…

Il déambula au hasard par les rues en proie au spleen.

Finalement, il échoua dans une taverne ; il y demeura jusqu’à la fermeture.

Le lendemain, vers une heure et demie de l’après-midi, il sonna à nouveau, Chemin Ste-Foye.

Ce fut elle-même qui ouvrit.

En l’apercevant, elle rougit :

— Bonjour… Victor… quand êtes-vous revenu ?

— Hier !

Au son de sa voix, à l’expression du visage, il devina la catastrophe probable. Sur son bonheur pendait l’épée de Damoclès.

Dans le salon, le malaise s’installa avec eux.

Elle évitait de le regarder. Lui, au contraire, la scrutait du regard, la fouillait, la pénétrait.

— Qu’est-ce qui est arrivé, Germaine, que ma visite ait l’air de vous causer tant d’ennui.

— Rien…

— …Tu… ne n’aimes donc plus ?

Il s’était levé, et appuyé des deux mains à la table qui les séparait, il se pencha vers elle pour cueillir la réponse au sortir de ses lèvres.

La réponse ne vint point.

Anxieux, la voix étranglée, il demanda une autre fois :

— Tu ne m’aimes donc plus ?

Elle leva vers lui ses yeux violets. Elle vit la mâle figure tourmentée par le doute. Elle eut pitié… et continua de se taire.

Impatient, il répéta sûr à présent du malheur, mais ne voulant pas y croire :

— Tu ne m’aimes donc plus ?

Elle balbutia :

— Oui… mais… mais…

— Mais quoi ! Parle-donc !

La froideur autoritaire de cette injonction la fit se redresser… et, le regardant à son tour dans les yeux :

— Je me marie dans trois jours.

Le sang se retira de ses veines… Il devint exsangue, d’une pâleur terrifiante… Ses lèvres frémirent… Elles s’entr’ouvrirent dans une grimace et un son faible, sortit de sa gorge.

— Ah !

Tout tournoya.

Il s’appuya fortement à la table, pour ne pas tomber. Son cœur se serra, se serra, se serra. Tout le sang s’en échappait par larges gouttes… Sa gorge séchait… Il avait peine à respirer.

Les lèvres continuèrent à frissonner.

La voix blanche, il dit :

— Non ! Ce n’est pas vrai.

Il s’anima :

— Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai ! Dis-moi que ce n’est pas vrai… Il faut que tu me le dises…

Puis, il devint suppliant :

— Tu m’aimes encore, ma petite Germaine. C’était pour rire n’est-ce pas que tu m’as conté cette histoire…

Une larme dans son œil brilla qui glissa lentement le long de ses joues…

Il était navrant et ridicule : ce colosse, cette brute, les mains tordues de supplication devant cette jeune fille frêle.

Elle ressentit beaucoup de fierté de constater jusqu’à quel point il l’aimait puisque l’idée seule de l’avoir perdue l’écrasait physiquement, en faisait une loque pantelante.

Elle se repaissait de cette vue… Elle jouissait de ce spectacle… Elle respirait, dans sa cruauté inconsciente, l’hommage de cette souffrance, souffrance, dont elle, elle seule était la cause.

En cela, elle était bien femme. Il y a dans toute fille d’Ève, une tigresse qui dort. Et comme la vue du sang agit sur le fauve et réveille sa vraie nature, la vue de la douleur morale agissait sur elle, et réveillait au fonds d’elle-même, le sadisme humain, que la civilisation n’a pas réussi à étouffer.

Elle eut honte bientôt de ses sentiments et l’autre partie d’elle même prit le dessus.