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Il savait qu’il était capable d’atteindre aux plus hauts sommets !

Tout ce qu’il avait voulu jusqu’ici, il l’avait réalisé. Il continuera.

Mais sa bêtise de tantôt, sa déclaration prématurée, le tracassait. Lancinant, comme un remords, il portait le regret de s’être conduit en écervelé…

— Elle a du me trouver bien ridicule, songea-t-il…

Mais la pensée que ses phrases méditées de longtemps, et apprises par cœur, étaient bien tournées, le consola.

Longuement, il marcha dans la nuit.

Il s’étudia, s’analysa, se scruta, fouilla jusqu’aux plus profonds replis de son âme…

C’était trop vrai qu’elle lui était nécessaire.

— Elle a ri de toi et continuera de rire de toi…

— Et pourquoi ?

N’était-il pas beau, de la beauté forte du mâle qui possède avec la vigueur physique la puissance cérébrale qui permet de franchir les obstacles et d’atteindre l’idéal rêvé, quel qu’il soit et si haut soit-il…

N’avait-il pas, devant lui, tout l’avenir…

C’est vrai qu’il y avait sa famille… Mais le jour où elle consentira à devenir sa femme, il ne vivra plus ici… Elle sera pour lui la famille, la patrie, l’univers…

Il allait, échafaudant des projets, sûr qu’ils réussiraient parce qu’il sentait en lui une volonté ardente et qui ne reculerait pas…

Et non seulement il l’aimait, mais il la désirait physiquement, passionnément. Il la portait en lui, dans son cœur, dans son cerveau, dans sa chair ! Elle était incorporée à l’air qu’il respirait… elle faisait partie de l’ambiance où il se mouvait. Nature riche, profonde, dont les facultés sensitives s’étaient concentrées sur cet être unique, il portait comme une obsession la hantise d’elle.

Elle ? C’était sa voix ; c’était ses yeux ; l’ovale de ses joues, sa peau fine et claire ; c’était sa taille, sa démarche… Il en était ensorcelé. Il se débattait dans un envoûtement dont il ne pouvait se défaire et que chaque jour rendait plus définitif.

Et elle ?

Elle ne savait pas encore si son cœur avait vibré sous l’amour comme une harpe aux cordes tendres…

Et cependant, durant cette année dernière de pensionnat, l’image de Victor, souventes fois s’était imposée, qu’elle n’avait pu chasser. Maintenant, depuis son retour, sans cesse elle y songeait et, quand il la quittait elle éprouvait une hâte grande de la visite prochaine.

Il était beau. Avec sa carrure d’athlète, il ressemblait à un jeune dieu, dans l’harmonie de ses formes masculines.

Le contraste entre ce qu’il était dans la vie courante, rude, dur, terre à terre et ce qu’il était avec elle, tendre, dévoué, sentimental, la touchait et la charmait.

Elle comprenait que cet homme, capable de tout briser, de tout détruire sur son passage, cet homme qui jamais ne se laissait abattre par aucun événement, elle pourrait le pétrir à sa guise, façonner son intelligence et son âme, les modeler comme elle ferait d’une terre malléable…

Elle se flattait que d’un geste, d’un regard, d’un mot, sa faiblesse dompterait sa force. L’habitude, la tyrannique habitude de le voir, de l’entendre, de l’imaginer là tout près, avait tissé autour d’elle un fil tenu, invisible, insensible, mais solide…

…Et les jours passaient… et les semaines passaient… et tous deux, jeunes, conquérants du futur, s’abandonnaient à la griserie de l’heure présente…

Son amour à lui se fortifiait, grandissait… et l’amitié amoureuse qu’elle éprouvait évoluait, insensiblement, en quelque chose de plus puissant, de plus troublant.

La muraille des objections élevée dans les débuts : disparité de condition et d’éducation, s’était écroulée…

Elle se sentait éprise… d’abord vaguement, obscurément… c’était plutôt une intuition qu’une conviction… puis, vainqueur des derniers doutes, l’amour s’empara d’elle irrésistiblement…

Elle regretta d’avoir souri le soir où il lui ouvrit son cœur.

Elle attendit la minute où, de nouveau, il lui dirait les mots enchanteurs, pour lui confier à son tour la grande tendresse de son âme.

Elle l’aimait ! L’éveil des sens s’accomplissait au milieu des langueurs et des vagues à l’âme indéfinissables qui l’accompagnent…

Lui, se taisait.

L’amour naissant de la jeune fille s’exaspérait de ce silence… Il en devenait plus intense…


— IV —


Il arriva que des amies de Germaine Bourgeois vinrent passer quelques jours au Pla-