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de votre départ pour le couvent. Je vous ai dit on vous laissant, « que je vous aimais ». Cette phrase, je vous la répète à haute voix à vous après me l’être répétée à moi-même des milliers et des milliers de fois… Elle est dans ma tête… toujours… Quand je suis seul, je suis avec vous, et je vous dis constamment : « Je vous aime ». Et de dire ces mots, ces simples mots m’inondent l’âme d’une grande joie…

Les yeux mi-clos, elle l’écoutait surprise et ravie de l’entendre. Lui, l’homme dur, lui, le rustre, il lui parlait doucement, si doucement que la douceur de ses mots lui réchauffait le cœur.

Instinctivement, il trouvait des phrases polies, des phrases qui étonnaient dans sa bouche…

Elle buvait l’hommage de ce mâle charmée de le trouver si tendre… Elle se souvint d’un livre où le héros, une brute, devant la femme aimée, devenait humble… et caressant… et timide…

Elle ne répondit pas à la déclaration inattendue. Elle ne lisait pas bien en elle-même.

Elle s’ignorait.

Lui, continua :

— Germaine, cet amour que j’ai pour vous, ce grand amour que je vous porte et qui me ferait vous donner ma vie si vous manifestiez le désir de l’avoir, je voudrais que vous le partagiez vous aussi. Je voudrais que vous ayez pour moi, un peu du sentiment noble et grand que j’ai pour vous… Vous ne pouvez pas m’aimer comme je vous aime mais vous pouvez m’aimer un peu, un tout petit peu…

Elle continuait de garder le silence et le regardait, perplexe. Elle ignorait que cette scène était préparée en imagination et que cette déclaration qui semblait jaillir spontanément de ses lèvres, il l’étudiait depuis un an, aidé par ses lectures…

Devant son mutisme, la voix se fit plus chaude, plus enveloppante :

— Germaine, dites-moi que vous m’aimez… que vous me permettez d’oser croire cela, moi, le petit habitant, qui convoite…

Narquoise, elle éclata de rire :

— Il ne manque plus qu’une chose c’est que vous tombiez à mes genoux… L’amour, c’est contagieux. Le mariage de votre sœur vous a rendu sentimental.

Tombant du ciel sur terre, il revint brusquement à la réalité. Il affecta, de peur d’être ridicule de prendre la chose en badinant.

— Vous ne m’avez pas pris au sérieux ? Vous auriez eu tort… Je badinais.

— C’est mieux ainsi…

Il se mordit les lèvres de dépit et se reprocha à lui-même d’avoir trop parlé. Mais il était de ces gens tout d’une pièce qui disent ce qu’ils pensent, et pensent ce qu’ils disent…

— Vous venez me reconduire, continua-t-elle, je suis un peu fatiguée.

— Pourquoi cette question. Vous savez bien que oui, lui répondit-il un peu durement.

Il lui en voulait à elle de la bêtise qu’il avait commis en lui ouvrant son cœur.

Certains invités étaient venus en voiture. Comme il n’y avait pas suffisamment de places dans l’écurie, on n’avait pas dételé les chevaux. Ils étaient attachés çà et là aux arbres et aux piquets de clôture, près des bâtiments.

Sans s’informer à qui il appartenait, ni si son propriétaire en aurait besoin bientôt, il choisit l’équipage le plus à son goût, sauta dans le carrosse et fit monter la jeune fille près de lui.

Tout le temps du trajet, il fut taciturne.

Il la déposa chez elle, lui souhaita bonsoir et remonta chez lui au grand trot, apaisant au dépens du cheval son mécontentement intime. Car, il était mécontent ! Car il s’en voulait ! Une seule chose le consolait : la puérile satisfaction d’avoir prononcé de belles phrases…

On a dû le considérer comme un homme bien instruit. Cela il n’en doutait pas…

Il attacha le cheval là, où il l’avait pris, et, partit, à pied, sur le chemin. Il avait besoin d’activité physique, et aussi, de solitude.

…Et voici qu’il s’aperçut que Germaine, lui était indispensable… Un désir d’elle, l’oppressait, immense…

…Confiant en lui-même, il jugea qu’il en était digne. Il jura qu’elle deviendrait sa femme. L’obstacle qui se dressa, le fit rire. La différence de conditions !

Il n’y a pas de conditions sociales !…

Il se savait intelligent ; il se savait énergique, il ne doutait nullement qu’un jour il ferait son chemin, qu’il se créerait une situation magnifique…

Tenace, comme il l’était, il décida de faire la conquête de la jeune fille, de marcher à l’assaut de son cœur, de le contraindre à capituler.

Quand il aura sa promesse, quand elle lui dira les mots qu’il voudrait lui voir dire, alors il s’en ira, bousculant ceux qui s’interposeront entre son but et lui, et il édifiera un avenir grandiose, digne d’elle et de lui.