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À Montréal, il avait gravi le Mont-Royal et admiré le port immense d’où s’écoule, par le monde, le grain de l’ouest fécond ;… il avait vu les gratte-ciels de New-York, ses magasins colossaux, sa statue de la Liberté ; il avait respiré les brouillards de Londres, s’était promené sur les boulevards de Paris, et les canaux de Venise, il les avait sillonnés, en gondole, par les soirs doux…

À tout hasard, il s’engagea dans une rue sans savoir où elle conduisait. Il allait à l’aventure, ce qui est la façon la plus intéressante de voyager.

Après être revenu sur ses pas une couple de fois il se trouva bientôt au cœur de la Haute-Ville… Voyant la foule se diriger dans un sens, il la suivit. Il arriva ainsi en face du Château, sur la Terrasse.

Les musiciens venaient de prendre place dans leur kiosque. Le directeur fit un signe de sa baguette.

Le concert commença.

Près de la pelouse, regardant la promenade, une place sur un banc, était vacante. Il s’y installa.

Il n’avait jamais entendu de musique, sauf les chants de l’orgue, dans l’église de son village.

Ce lui fut toute une révélation. Il se laissa enlever de terre par les vagues d’harmonie qui le berçait mollement, mollement… Il plana dans un monde nouveau, vague, irréel, idéal…

Devant lui des couples jeunes passaient et repassaient. Il y avait aussi des jeunes filles jolies, et des jeunes filles laides, des hommes jeunes et des hommes vieux, des touristes qui flânaient… Il les voyait mais il ne les distinguait pas… Son regard errait à l’infini, dans cet infini sans nom ou la figure douce de Germaine apparaissait dans l’auréole de sa chevelure et lui souriait…

La musique chantait à son oreille une langue nouvelle et qu’il comprenait, et qui le faisait frissonner quand les cuivres s’emportaient dans les crescendos.

Il écouta quelques morceaux, ainsi perdu dans son extase subtile.

Comme il voulait reprendre le train pour Valclair le soir même, il s’arracha à l’enchantement.

…En face du Palais de Justice, un charretier l’aborda. En homme du métier, il avait flairé l’étranger.

— Calèche.

Victor Duval consentit à la dépense des quelques dollars que l’homme lui demanda, et du haut de son observatoire mobile, il visita les principaux endroits de la vieille capitale.

Sur la Grande Allée, il demanda ce qu’était la bâtisse immense en quadrilatère, qui domine le paysage.

— Ça ? C’est le Parlement.

— C’est là que se tiennent les députés ?

— Oui.

— C’est grand…

…Et il fut flatté de ce que la fille d’un député s’intéressait à lui.

Il ne lui restait que trois quarts d’heure avant le départ du train quand il termina sa promenade, juste le temps d’entrer chez les marchands faire ses emplettes.

Durant ces huit mois passés à peiner il avait économisé quelques centaines de dollars ce qui, à l’époque, constituait un magot respectable.

Le lendemain, sa première visite fut pour le vicaire, son ami, à qui il raconta ses diverses impressions de voyage. Il était vêtu de neuf, fier d’étrenner ses habits de citadin.

Dans l’après-midi, il se dirigea vers le Plateau.

Il trouva Germaine dans le jardin. Ce n’était plus la petite fille qu’il avait quittée l’automne d’avant… Elle était maintenant la jeune fille accomplie, dans toute sa féminité… Sa taille s’était formée, et ses traits avait plus de gravité… Elle avait des joues roses et rondes et l’ovale de sa figure était parfait… Ses longs cheveux étaient relevés en torsade au dessus de la nuque.

Il s’arrêta net en la voyant, les yeux agrandis d’admiration. Naïvement, il lui cria et ce fut son premier bonjour.

— Comme vous êtes devenue belle, Mademoiselle Germaine…

Retrouvant son espièglerie d’enfant, elle lui répondit…

— Je ne l’étais donc pas…

— Vous étiez bien jolie, mais vous avez encore embelli…

— Vous aussi, vous avez changé.

— J’ai vieilli ?

— Un peu. Vous avez l’air plus sérieux… Ça vous va bien… Il y a longtemps que nous nous sommes vus…

— En effet, bien longtemps. Presqu’une année… Vous êtes-vous ennuyée de moi ?

— Vous êtes bien curieux. Vous ?

— Moi, j’ai pensé à vous, tout le temps.

…Et ils continuèrent à se dire un lot de banalités…

Dans leurs bouches jeunes elles prenaient un sens et ils les trouvaient charmantes.