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Le temps s’était mis au froid vers la fin de l’après-midi. Il avait gelé fort. Les roues crissaient. Les chevaux allaient au pas, à cause de la charge.

La lune se reflétait sur le lac St-Maurice dont ils longeaient les bords. Les rapides qui s’échelonnent çà et là sur le parcours, chantaient. Ils étaient d’argent sous la clarté lunaire.

De temps à autre un nuage passait qui obscurcissait le ciel, momentanément.

Dans les voitures, les gars ne disaient rien. Plusieurs avaient mal aux cheveux, comme il arrive souvent, les « lendemains ».

Victor goûtait ce voyage. L’air frais, embaumé des senteurs forestières, lui caressait la figure.

Il avait le sang à la tête et ses joues comme son nez étaient tuméfiées.

Du combat de tantôt, il lui venait le mâle orgueil de la victoire. Il se passait la main au visage et souriait.

Il pensait à Germaine ! Les yeux violets l’obsédaient. Elle était avec lui, autour de lui, en lui.

Les voitures s’engagèrent dans un brûlé. Il offrait un spectacle de désolation. Des troncs d’arbres noircis, pitoyables, subsistaient seuls. Ils avaient l’air de monuments funèbres.

Puis ce fut une pinière qu’on traversa. Les arbres, grands, hauts, s’élevaient jusqu’au ciel… Leur frondaison de vert sombre marquait le gel et l’hiver qui venait.

Dans l’une des voitures, quelqu’un chanta. C’était une espèce de mélopée lente aux notes tristes, en mineure. La voix était jeune, grave, chaude.

Au loin, bien loin, des hurlements répondirent et cela donnait sur les nerfs.

Enfin, une éclaircie ; l’on aperçut le campement.

Les chevaux fatigués, hâtèrent le pas. D’eux-mêmes ils se mirent au trot, dans la hâte qu’ils avaient de la litière de l’entre-deux et de la portion dans les mangeoires.

L’aube commençait de naître. Un blanc laiteux s’étendait sur la forêt. À l’horizon au ras du sol, une barre rouge surmontée de rose présageait une journée de soleil.

Quatre grands bâtiments construits avec des troncs d’arbres composaient le campement.

Les hommes descendirent. Ils avaient congé à cause de la nuit sans sommeil. Ceux qui voulaient dormir le pouvaient. Dans la plus grande bâtisse se trouvait le dortoir. Ils se jetèrent sur les lits qui étaient à deux étages comme dans les cabines des bateaux.

Le lendemain, la besogne commença. Le bois jusqu’alors silencieux ou presque devint bruyant. Tout le jour, il résonnait des coups de hache, du grincement des scies, des jurons des charretiers.

Duval travaillait dans la joie. La dépense d’activité qu’exigeait son labeur l’empêchait de s’ennuyer. Aux milieu de ces hommes frustres, grossiers, durs aux coups, les rêveries amollissantes n’étaient pas permises. Et cela empêchait la morsure de l’ennui de s’attaquer à son cœur. Il lui arrivait d’oublier Germaine.

Seulement, le dimanche, quand il flânait, il revivait avec elle, dans son imagination, les jours récents. Il lui murmurait des phrases empreintes de poésie et il s’en grisait lui-même.

Les premiers temps, il travailla aux chemins. Peu après il fut adjoint à un homme de chez lui, pour scier les arbres abattus, en longueur de seize pieds.

En travaillant, il parlait peu. Le godendard allait d’un sens de l’autre entamant les arbres…

Quelque temps après, il fut chargé de faire les coupes. Il aimait mieux cela. Il avait comme une espèce de responsabilité…

Quand sa hache s’attaquait à un géant de la forêt et qu’il lui faisait l’entaille vitale qui le meurtrissait, il éprouvait la même joie que le chasseur quand il vise le gibier. Du côté qu’il voulait, l’arbre tombait. Ses coups portaient juste. Les copeaux volaient, carrés comme des bardeaux.

Une fois par mois, il écrivait. Elle répondait adressant ses lettres à St-X… d’où on les lui faisait parvenir.

Les jours de courrier, il se retirait seul et passait sa journée à lire et à relire les mots qu’elle avait tracés.

C’était là tout l’aliment romanesque dont se repaissait sa vie.

Les jours se suivaient, pareils, presque monotones.

Les hommes le craignaient. Le récit de sa bataille à Valclair l’avait suivi, amplifié. Sa force était devenue légendaire.

Comme il était plus instruit que la moyenne, il était en considération. Beaucoup avaient recours à lui, pour leur correspondance. Il se mêlait peu aux autres, cependant.

Les propos qui avaient cours les jours de tempête, où l’on devait rester aux « Camps »