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— Oui. Quelquefois, c’est intéressant.

— Très intéressant quand on n’est pas obligé de les faire et qu’on travaille pour son plaisir.

— Papa, veux-tu, je vais aller chez les Duval, demain.

Le père haussa les épaules.

— Qu’est-ce que tu vas aller faire là ?

— Faire les foins.

Câline, elle insista jusqu’à ce que le député consentit à sa demande. Veuf depuis de nombreuses années, et n’ayant que ce seul enfant, il passait par ses caprices. Elle le menait par le bout du nez le faisant acquiescer à tous ses désirs.

Elle frappa ses petites mains l’une contre l’autre.

— N’est-ce pas, Victor, que vous voulez que j’aille vous aider demain ?

Cette invitation spontanée qu’on le forçait à formuler le laissa, quelques instants, abasourdi. Germaine verrait de près sa famille. Elle pénétrerait dans le logis misérable et pauvre, où ils vivaient tous. Quelle pitié s’emparerait d’elle à la vue de ces laideurs ! Quel dédain ne ressentirait-elle pas de l’ambiance trop prosaïque de ses occupations quotidiennes !

Mais comment refuser ! À contre-cœur, il bredouilla :

— Je veux bien… mais ce n’est pas si drôle que vous pensez… Et puis…

— Et puis quoi ?… je vous ai dit que j’allais chez vous demain… Vous refusez ? C’est bien. Je ne vous verrai plus.

Et pendant que ses yeux souriaient, la moue de ses lèvres fit de son visage une grimace charmante.

— Puisque vous y tenez absolument…

Vous me rejoindrez dans la troisième pièce… C’est là que nous serons Albert et moi.

— Bravo ! Je suis contente… vous allez voir que je suis capable de vous aider…

Elle regarda la grève.

— Tiens la marée est haute… Savez-vous ramer ?

— Un peu.

Sans en entendre davantage, elle se leva.

— Papa, je vais faire un tour de chaloupe.

Sans lever les yeux de sur son journal, il lui dit :

— Sois prudente.

— N’ayez pas peur, Monsieur Bourgeois. Je connais l’eau. Nous sommes bons amis, le fleuve et moi.

Par un sentier assez à pic, ils descendirent jusqu’à la grève. Le sentier était étroit. Ils devaient marcher l’un devant l’autre. Il la précédait, lui tendant la main dans les endroits difficiles. Des cailloux et des roches descellés, roulaient au bas avec un bruit sourd amorti par la mousse et l’herbe et les feuilles qui jonchaient le sentier.

La marée avait fini de monter. La mer était calme, unie.

Le soleil y dardait ses rayons et l’argentait. Elle luisait.

Victor enleva son veston, retroussa les manches de sa chemise jusqu’au dessus des coudes, aida sa compagne à monter, poussa l’embarcation à l’eau, et s’installa aux rames.

À chaque mouvement les muscles des avant-bras se gonflaient, la poitrine se bombait.

Germaine en face de lui, l’admirait et le trouvait beau.

Il était le seul être jeune qu’elle eut connu jusqu’ici ; il était le mâle dans la splendeur de sa force… Il lui en imposait et elle ressentait une impression de sécurité du fait seul de sa présence.

Le lendemain, à bonne heure, pendant que Victor travaillait aux champs avec Albert, dans la pièce située près du bois de cèdres, il vit, dans l’allée, une silhouette, se profiler au loin, toute menue.

— On va avoir de la visite, Albert.

— Qui ça ?

— Mamzelle Bourgeois.

Une grande joie lui inonda l’âme.

La silhouette grandissait… Il commençait à en distinguer les contours.

La fourche s’arrêta entre le sol et la charge.

— C’est un homme, pensa-t-il.

Les paupières plissées, il scruta mieux l’horizon.

— Non ! C’est bien elle.

Il la reconnaissait à la légèreté de sa démarche, à ce je ne sais quoi qui trahissait la femme, une grâce plus grande de mouvements…

Une main s’agita.

Il rendit le salut avec son chapeau, un vieux feutre mou tout bosselé…

Il s’essuya le front où déjà la sueur perlait, planta son chapeau sur un piquet de clôture et courut au devant de la visiteuse.

Elle était vêtue pour la circonstance. Des bas anglais de laine fine laissaient admirer le galbe des jambes. Elle portait en guise de jupe des culottes bouffantes, bleu marine, un chandail échancré à la gorge découvrait le