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la mystérieuse inconnue

te et très doux qu’il éprouvait pour cette enfant pauvre qui, sans le connaître lui rendait à deux reprises déjà, et pour des raisons qu’il ignorait, un service signalé.

— N’ayez crainte, Mademoiselle, je n’ai peur de personne. Je vais faire semblant de tomber dans le traquenard, mais malheur à celui qui essaiera de mettre la main sur moi, je vous jure de l’abattre comme un chien.

Elle le regarda avec effroi.

— Monsieur, ne faites pas cela, je vous en supplie, ne faites pas cela.

— Et pourquoi ?

— Pour moi, voulez-vous ?

— Mais comment êtes-vous au courant de toutes ces choses et pourquoi m’en avertissez-vous ?

— Ça c’est mon secret… Maintenant, nous allons nous laisser. En retour du service que je vous rends, promettez-moi de ne pas vous exposer.

— Je vous le promets. Me direz-vous qui vous êtes ?

— Non, je ne puis pas. Je suis l’inconnue.

— Me permettez-vous d’espérer vous revoir ?

— À quoi bon ?

— Nos chemins peuvent se rencontrer. Qui sait ? qui connaît l’avenir ?

— Laissons faire l’avenir.

— Et comment vous remercier de ce que vous faites pour moi ?

Une idée germa dans sa tête qui révolutionna ses pensées.

— Je vous le dirai plus tard.

— Alors ce n’est pas adieu, c’est au revoir.

— Au revoir.

Elle s’éloigna gracieuse, d’un port de reine qui contrastait avec la pauvreté de son accoutrement.

XVI

Tel qu’Annette Germain le lui avait prédit, quelques jours plus tard, André Dumas reçut la nouvelle que son père était bien malade et le mandait immédiatement à St X… Il regarda l’heure. Comme de fait il n’y avait aucun train en partance, sauf très tard ce soir-là. Il essaya de téléphoner. Il ne fonctionnait plus. Décidément elle avait raison. Le complot n’était pas imaginaire, les faits s’enchaînaient trop bien pour que tout le récit du dernier soir ne fut qu’un tissu de fausseté.

Et il éprouva pour cette jeune fille un sentiment de reconnaissance infinie. L’amour qu’il commençait de ressentir pour elle s’en augmenta et aussi la perplexité où le laissait cette intrigue inextricable.

Il sonna son chauffeur.

Johnson parut.

Il le regarda fixement dans les yeux et remarqua que ce dernier fuyait son regard.

— Johnson lui dit-il, mets l’auto en ordre et prépare-toi. Je pars pour St X… d’ici une heure.

— L’auto est prêt. Je n’ai qu’à m’habiller. On peut partir immédiatement.

Cette insistance confirmait davantage ses soupçons.

Un moment, l’idée lui vint de confondre son chauffeur, de lui faire avouer qu’on le traînait dans un guet-apens. Il jugea préférable de n’en rien faire et d’attendre une circonstance plus favorable et qui lui donnerait la clef de l’énigme.

— Je ne serai pas prêt à partir avant une heure. Comme je ne sais pas le temps que je serai absent, j’ai une affaire à régler.

— Je crois, M. Dumas que l’on serait mieux de partir tout de suite, si l’on veut arriver de clarté.

— Je sais ce que j’ai à faire. Je partirai quand bon me semblera. Cela suffit.

Il revêtit son manteau, prit son couvre-chef et se rendit au premier restaurant qui se trouvait sur son chemin.

Là, il appela chez lui afin d’avoir la confirmation que la nouvelle était fausse.

Tout le monde là-bas jouissait d’une santé excellente.

— Es-tu prêt ? demanda-t-il à Johnson quand il fut de retour une demi-heure plus tard.

— À l’instant même. Quel auto allons-nous prendre ?

— La limousine. Il fait encore un peu froid. Tu passeras par Laprairie, j’ai quelqu’un à voir à « l’Hôtel de la Rive Sud », je vais profiter de mon voyage.

André Dumas avait revêtu pour la circonstance une casquette en drap noir et dont la visière rabattue masquait les yeux.

Un paletot en ulster bleu marine, avec un col haut et large lui permettait de passer inaperçu.

Durant le trajet, il ne soufflait mot. Il ruminait tout un plan d’évasion et se creusait la cervelle pour percer ce mystère qui l’entourait, qui l’enveloppait et dans lequel il se mouvait, comme si depuis des mois il était le jouet d’une hallucination.

À Laprairie, il fit stopper devant l’Hôtel de la Rive Sud. Il connaissait fort bien le pro-