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la mystérieuse inconnue

— Il devrait être ici, je lui ai donné rendez-vous, il n’a qu’à être exact.

— Il ne faut pas le blâmer trop vite… il a dû s’absenter pour une affaire urgente.

Elle ne conta pas que c’était elle qui avait forcé son père à s’absenter pour se ménager un tête à tête.

— Vous semblez bien de mauvaise humeur ce soir.

— Il y a de quoi. Voulez-vous me dire quelle mouche a piqué votre père d’annoncer à tout Montréal que j’étais riche à millions ?

— Il a fait cela dans votre intérêt.

— Dites : dans le sien, le besoin de la publicité. Depuis ce temps-là, je suis assiégé par des fâcheux, des escrocs. Il peut se vanter d’avoir fait un beau coup, cette fois là, votre père.

— Il ne vous est rien survenu de désagréable…

— Non, absolument rien. Une jeune fille vient me voir qui se nomme pas, ne dit pas ce qu’elle veut, et s’esquive brusquement.

— Il n’y a pas de quoi se tracasser pour cela.

— Plus que vous ne pensez… ce matin, je reçois un mot, m’avertissant d’être sur mes gardes, qu’on en veut à ma fortune, qu’on en veut à ma vie…

— Ce doit être une fumisterie.

— Une fumisterie si vous voulez… Après cette lettre anonyme, je reçois la visite d’un gaillard, qui me raconte une histoire abracadabrante, menace de me tuer…

Les yeux de Julienne s’agrandirent par l’émotion. Elle balbutia :

— Vous êtes en danger ?

— Il parait.

— Avertissez la police… Faites-vous garder.

— Je n’ai besoin de personne pour avoir soin de moi, je suis capable de me défendre…

— Qu’allez-vous faire ?

— C’est précisément ce que je cherche… je suis fatigué de cette vie insignifiante.

— Vous vous en plaignez, vous avez tout ce qui rend la vie agréable. Vous êtes jeune, fort, en bonne santé, vous êtes riche… Vous pouvez plaire…

— Vous croyez ?

Elle rougit…

Il la regarda longuement. Il oublia, devant ces yeux qui l’ensorcelaient, ses tracas, et le désir lui vint de presser la jeune fille dans ses bras.

— Julienne, écoutez-moi. Est-ce bien vrai ce que vous m’avez dit l’autre soir ? que vous m’aimiez.

— Je ne vous ai pas dit cela.

— Vous me l’avez laissé entendre. C’est la même chose.

— Je vous ai dit que peut-être je vous aimerais…

— Et vous, m’aimez-vous demanda-t-elle, coquette.

— Moi ? je n’ai jamais aimé. Je ne sais pas encore ce que c’est que l’amour.

— Pourtant l’autre soir.

— L’autre soir, c’est vrai, j’étais fou de vous, comme je le suis ce soir, comme je le suis chaque fois que vos yeux se posent sur moi.

Elle respira cet hommage et, ses narines se dilatèrent de plaisir.

Pour une cérébrale comme elle, il n’y avait pas de volupté plus grande ! Cet homme, fort, jeune, qui lui offrait en pâture sa naïveté juvénile ! Il y avait là pour l’orgueil de toute la jeune fille un aliment unique.

Se frottant les mains de contentement à la vue d’un tableau que formait le jeune couple, Me Gosselin faisait son apparition, le complot marchait mieux qu’il ne le présumait.

— Bonsoir, Monsieur Dumas, fit-il, mielleux, insinuant, cajoleur.

— Bonsoir, répondit la voix sèche du jeune homme.

Aussitôt il se leva et reprit son air maussade de tantôt :

— Vous en avez fait de belles ! Vous pouvez vous féliciter de votre tact.

— Qu’est-ce qu’il y a donc, je ne vois pas pourquoi vous me feriez des reproches ?

— Il y a, papa, que Monsieur Dumas est assiégé par toutes sortes de gens depuis que tu as fait publier dans les journaux qu’il valait des millions…

— Il n’y a pas lieu de tant récriminer. C’est la célébrité.

— Il y a aussi qu’il a reçu des menaces et qu’on en veut à sa vie…

Cette fois, c’était plus grave. L’avocat se fit renseigner sur ce qui était survenu et assura à son client que le visiteur louche n’avait aucun droit de réclamer quoi que ce soit de l’héritage, et que dans tous les documents dont il avait pris connaissance, il n’était aucunement question de son père.

Il ajouta :

— Faites garder votre maison par des détectives durant quelques mois, vous avez tout simplement affaire à un escroc qui vous pense une proie facile.