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la mystérieuse inconnue

Julienne. Elle ne trouva pas grâce devant sa misogynie naissante.

— C’est fini cette vie oisive, conclut-il, demain, je me lance dans les affaires.

Quelles affaires ? Il ne le savait pas. Il se lançait dans les affaires.

Il appela Johnson.

Idola lui dit qu’il était absent.

Il maugréa contre lui, ne se rappelant pas lui avoir donné congé la veille.

X

Deux jours après cette aventure un peu ridicule, André Dumas reçut une lettre sur papier bleu pâle.

Elle contenait ces simples mots :

— « Faites attention, on en veut à votre fortune. On en veut à votre vie… »

Elle était signée :

La Mystérieuse inconnue.

— Ça y est, me voilà en plein roman feuilleton. Il y avait des soirs, des soirs tristes où le spleen le prenait, des soirs où lui venaient à l’esprit les heures monotones et douces de son enfance où la nostalgie le prenait du tranquille village de St X… Ces soirs-là, il se demandait si tout cet enchaînement de faits était bien une réalité, si c’était lui, véritablement lui, André Dumas, qui parcourait le journal en grillant un londrès dans le somptueux living-room de son château.

Était-ce bien lui, ce jeune homme insouciant qui, en novembre, par une journée pluvieuse, avait pris le train pour Montréal. Était-ce lui, l’adolescent sans amour qui avait suivi jusqu’à l’extrémité de la ville une ouvrière pâle aux grands yeux ouverts dans un visage qu’ils illuminaient ?

Était-ce bien de lui que les journaux avaient parlé, annonçant au Tout Montréal, l’incroyable aventure survenue dans sa vie ? Était-ce lui que Julienne Gosselin, la jeune fille hautaine et froide, avait élu comme prince régnant de son cœur ? Car il ne doutait pas qu’elle l’aimait.

Était-il le jouet d’un rêve ?

Pourtant, il fallait bien l’admettre, il vivait l’André Dumas d’autrefois, c’était bien lui-même.

— Un Monsieur veut vous voir, annonça Idola.

— Faites-le entrer.

Un homme long et sec, la figure virile et les traits brutaux pénétra dans son appartement.

— Vous êtes bien André Dumas ?

— Lui-même, vous me voulez ?

— L’on m’appelle Pit Lemieux… Ça ne vous dit rien ce nom là ?

— Absolument rien, je vous l’avoue…

Alors, le jeune homme, le chef de bande de l’Underworld commença de raconter l’histoire de la fortune volée à son père, de son assassinat…

André l’écoutait sans l’interrompre. Finalement il lui demanda où il voulait en venir avec ces contes à dormir debout.

— Où je veux en venir ? À ceci. La fortune dont vous jouissez est la fortune de mon père. Vous allez nous la rendre, tout simplement.

— Tout simplement ? et si je ne veux pas vous la rendre ?

L’autre s’était levé.

— Si vous ne voulez pas me la rendre, je vous y forcerai.

— Vraiment, mon jeune ami ! je ne suis ni naïf, ni poire, ni poisson. Je ne crois rien à ce que vous me contez. Il y a des tribunaux à Montréal, si vous voulez vous faire rendre votre dû, recourez à la justice.

— Les preuves que j’ai ne comptent pas devant les Juges. Je pourrais vous tuer ici pour assouvir une vengeance que je médite depuis quinze ans. Cela ne m’avancerait à rien. Ce que j’exige de vous, c’est que vous nous rendiez notre fortune.

André éclata de rire, d’un rire sonore, son visiteur, d’un geste brusque, voulut se jeter sur lui, mais une poigne de fer lui saisit le poignet, le forçant à ployer sur ses jambes.

— Vous savez où est la porte ?

— Très bien, je m’en vais, mais je vous avertis que vous n’en avez pas fini avec moi.

— Faites ce que vous voulez, je n’ai pas peur de vous. Adieu.

— Au revoir.

— Je vous ai dit « Adieu ». Je ne tiens pas à vous revoir. Vous perdez votre temps, je ne sais pas chanter.

Quand le visiteur fut parti, il appela immédiatement Me Gosselin pour se ménager une entrevue.

Il était furieux.

Sa colère ne cessa de la journée. Après souper, il se rendit à la demeure de son avocat.

La bonne l’introduisit dans le living-room.

Peu de temps après, Julienne vint le rejoindre.

— Papa est absent pour une demi-heure, si vous voulez l’attendre…

Maussade, André répliqua :