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LA CITÉ DANS LES FERS

— Laissez-moi ! Comédien que vous êtes. Hier encore au Château… à Québec…

Et comme il allait pour répondre elle lui dit.

— Allez-vous-en sinon, je vous dénonce à tout ce monde. Et c’en est fini de vous…

— Faites-le ! Lucille ! En mourant je vous donnerai au moins un gage ultime d’amour.

— Comédien ! Savez-vous pourquoi vous êtes venu ici ? Pour la revoir elle ? Parce que vous saviez qu’elle y est…

— Lucille…

— Allez-vous-en ! ou j’appelle. Retournez à elle… c’est fini entre nous, à jamais fini… Jamais je ne me contenterai des miettes, tombées de la table d’une actrice…

Et elle se mit à pleurer.

Il voulut la consoler, mais ce fut en vain. Devant son insistance, il jugea plus prudent de s’éloigner et de revenir à la charge sous peu… Il ne s’avouait pas vaincu. Ce n’était pas pour essuyer un refus qu’il avait risqué sa vie dans cette équipée. Il alla au buffet déjà plusieurs personnes étaient rendues. Il se fit verser un verre de punch qu’il dégusta, et sortit au dehors faire un tour dans les jardins. Il respira l’air profondément et songea un peu. Est-ce que son étoile pâlissait. Était-il au point culminant de sa vie il arrive que tous les obstacles et les contrariétés fondent simultanément sur soi et où il semble que le hasard se plaît à nous accabler.

Il saura narguer le Destin. Les obstacles ! Tant mieux c’est un stimulant. Les difficultés de toutes sortes qui s’acharnaient à le poursuivre ne donneront qu’une saveur plus grande à la Victoire prochaine.

Car la Victoire est prochaine. Sous peu il déclenchera la grande Ruée qui le fera incontestablement le maître de la Province…

Il fut distrait de ses pensées par un bruit de pas derrière lui. Il se retourna, face à face avec une bohémienne.

— M. Bertrand, lui dit-elle à voix basse.

Il reconnut la voix d’Yvette Gernal.

— Fuyez d’ici, continua-t-elle. Sir Vincent vous a reconnu.

— Et qu’est-ce que cela peut me faire ?

— Cela signifie qu’il a payé quelqu’un pour vous tuer.

— Et après ?

— André, implora-t-elle, pardonnez-moi ! C’est moi qui lui ai dit hier que vous seriez ici. Et il a engagé l’un des hommes de Barnabé qui doit tirer sur vous. On vient… accordez-moi cette danse… je vous donnerai la description de votre supposé assassin…

En rentrant dans la salle du bal, il vit la princesse qui le regarda passer au bras de l’artiste. Il voulut la saluer. Elle détourna la tête avec hauteur et dit à voix haute à un jeune homme qui l’implorait pour valser avec elle.

— Soit, je vous accorde cette danse. Connaissez-vous cet intrus qui pénètre chez les gens sans être invité.

Les premiers accords commencèrent.

Le prospecteur enlaça la bohémienne et dansa avec elle.

— Me pardonnerez-vous tout, le mal que je vous ai fait lui demanda-t-elle.

— Oui ! je vous pardonnerai à une condition… Non… J’ai habitude de régler mes affaires moi-même. Êtes-vous certaine des intentions de Sir Vincent.

— Je l’ai entendu vous désigner à son homme et lui dire : Surtout ne le manquez pas. En plus des $25.000 j’en ajouterai $10.000 de ma poche.

— Je vous remercie de vos renseignements. Hier quand vous êtes venue à Québec, êtes-vous venue de votre plein gré.

— Non ! j’y ai été amené par le solliciteur…

La danse était terminée. Les couples étaient encore en place, applaudissant la musique.

André Bertrand chercha Lucille des yeux ; il la vit près de lui, qui riait nerveusement aux histoires que lui conte son cavalier.

Tout à coup, un coup de feu se fit entendre. Bertrand fit une grimace. Il était atteint à l’épaule gauche. Précipitamment, il sortit son arme de son étui. Un autre coup de feu et Yvette Gernal s’était jetée au devant du chef républicain. La balle lui traversa la poitrine.

Bertrand tira à son tour. On vit un homme, un revolver encore fumant à la main, s’abattre frappé au cœur.

Le trouble s’empara de l’assistance. On s’empressa de courir aux victimes.

Malgré la douleur, André Bertrand, prenant le pistolet dans sa main gauche et le tenant braqué sur les danseurs, se pencha vers l’artiste.

— Merci Yvette, lui dit-il.

— Me pardonnez-vous, gémit-elle.

— Je vous pardonne…

Un faible sourire passa dans les yeux de la moribonde. Pour sceller mieux le pardon, il déposa un baiser sur son front.

Puis le pistolet, toujours menaçant, il cou-