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LA CITÉ DANS LES FERS

provinces et qu’il invitait tous ceux qui en voulaient à ses jours de venir mettre la main sur lui, s’ils en étaient capables.

Et ce qu’il dit il le fit.

Durant une semaine, presque jour et nuit, il parcourut tous les villages avoisinants de Québec, prêchant la résistance jusqu’au bout. Boivin le suivait partout et à chaque place, les recrues qu’ils demandaient, s’enrôlaient d’elles-mêmes, frémissantes d’enthousiasme.

Et chaque soir, sac au dos, elles s’acheminaient vers la vieille capitale où on les engageait dans les différents corps d’armée.

Partout autour de lui, le chef sentait le rempart de centaines et de centaines de poitrine qui se seraient offertes aux balles, pour sauvegarder sa vie. Partout où il allait, le chef recevait des ovations, et là où il avait passé il pourrait plus tard récolter une moisson d’apôtres et de martyrs.

Après une semaine de cette randonnée, il retourna à Québec, où sa présence était urgente.

Il y avait une réunion dans la soirée.

On y lisait les journaux de Montréal.

En grosses manchettes, en première page, on pouvait voir.

« MONTRÉAL PACIFIÉ : toute la partie Ouest de la province répudie la république. De Trois-Rivières à Montréal on réclame la tête des rebelles ».

Et dans le texte plus bas, l’on pouvait lire que les conseils municipaux de toutes les villes et villages dont le nom suivait — et il y en avait deux cents — avaient adopté une résolution dans ce sens.

Le lecteur averti aurait pu lire entre les lignes que ces résolutions étaient forcées, que ce n’était là que de la stratégie pour démoraliser la population.

Sur une autre page, ce titre en capitales se détachait visible sur un haut de page.

La Capture d’André Bertrand n’est qu’une question d’heures.

Telle était la conclusion d’une conférence de Sir Vincent Gaudry au Monument National, sur les Devoirs du moment. Il en avait profité pour déblatérer contre le chef, l’accusant d’être le grand coupable de tout le sang versé jusqu’ici. « Heureusement, conclut-il, tout est rentré dans l’ordre, et dans quelques semaines au plus tard, nous aurons sa tête ».

— Pas aussi vite qu’il le croit, corrigea le président. Que pensez-vous de tout ceci ?

— Que ça va très mal, moins mal que les apparences cependant. Je pense que ce n’est là qu’une manœuvre destinée à nous décourager ajouta quelqu’un.

— Êtes-vous prêts à continuer la lutte, demanda Bertrand.

— Nous sommes prêts.

— Jusqu’au bout ! malgré les défaites !

— Malgré tout.

— Je vous avoue que sauf à Québec, où nous sommes maîtres, nous avons perdu énormément de terrain, mais nous aurons des soldats. L’enrôlement s’effectue dans de très bonnes conditions et d’ici peu nous aurons de l’avant. A-t-on des nouvelles de Montréal autres que celles des journaux ?

— Depuis quelques jours le télégraphe ne nous apprend presque rien, nos messages sont sans réponses, dit Boivin.

— Avez-vous quelques hommes sûrs, prêts à courir le risque d’un voyage hasardeux ?

— Tant que nous en voulons.

— Envoyez-en une dizaine ce soir et qu’ils fassent un rapport sur la véritable situation… Quant à moi, je pars pour New-York dans quelques minutes. Je ne fais qu’aller et revenir. J’espère qu’à mon retour, il y aura du nouveau.


XXI

L’ÉTERNELLE ENNEMIE


Le voyage à New-York fut de courte durée. Il rencontra M. Riverin, lui fit part de ses craintes et d’un besoin immédiat d’aide efficace. Il lui expliqua que bientôt commencera la Grande Offensive. Vie ou Mort ; il n’y a pas d’alternative, lui dit-il, si vous êtes assez joueur pour risquer le coup, il y a au bout, de la Gloire pour vous comme pour nous. Il y a l’immortalité par l’Histoire.

M. Riverin cligna de l’œil avec un sourire vague plutôt engageant mais dont le sens précis échappait à l’observateur.

— Quand je m’engage dans une entreprise, répondit-il, quelqu’en soit le début et quelqu’en soient les difficultés, je me rends au bout. M. Bertrand, comptez sur moi. Je vous ai promis une surprise. Vous l’aurez.

— Merci. Je saurai à quoi m’en tenir. Vous recevrez de mes nouvelles ces jours-ci.

Il remonta en wagon immédiatement après cette entrevue. La gigantesque Cité américaine orgueilleuse et dont les gratte-ciel essayent de s’élever à la conquête de l’azur, malgré toute son activité fiévreuse, n’eut pas assez d’attraits pour le retenir.

Une partie capitale était engagée ailleurs. Son poste le réclamait. Il voulait y être.