sement chacun des faits survenus récemment, en tiraient les conséquences, et étayaient l’édifice de l’Avenir.
Au centre, André Bertrand présidait. Il fut le premier à exposer ses vues. Il le fit d’une façon concise, nerveuse, semant l’inébranlable confiance et la fidélité.
Il expliqua que la Constitution serait terminée dans quelques jours, commenta l’effet de la parade militaire et demanda aux personnes présentes si elles avaient des suggestions à faire, en ce qui regardait la façon de procéder, et la date propice, du véritable Coup d’État.
— Avez-vous eu des nouvelles de M. Riverin, lui demanda Louis Gendron.
— Nous avons reçu à titre de prêt une somme de $100,000 dollars. Je suis en communication constante avec lui. Dans son dernier message il me dit qu’une surprise nous attend prochainement.
— Le coup d’État suppose d’abord le nerf de la guerre, l’argent, dit Eusèbe Boivin. Il suppose des bonnes volontés et de l’héroïsme. Nous avons tout cela. J’ai préparé avec mon état-major tout un plan de campagne que je ne puis dévoiler présentement. Il a eu l’approbation de votre président. Tout se fera dans l’espace d’une heure, par surprise. C’est le moyen le plus efficace et le seul.
— Comment est le moral de l’armée.
— Excellent sous tous rapports. Nos soldats sont animés d’une ferveur presque mystique.
— Qu’allons-nous faire d’ici quelques jours ? demanda Charles Picard.
— Prélever des fonds, prononça Bertrand. La Banque Laurentienne est solide. Le gérant général nous est acquis et nous y avons un dépôt. Nous aurons besoin d’argent, sous peu. Deuxièmement, ne pas nous départir de notre calme. Les Anglais en temps de crise ont un mot d’ordre que j’admire « Business as usual ». Adoptons-le. Pour aucune considération, les citoyens ne doivent être démoralisés.
À chacun de vous est assignée la visite de cinq clubs par soir pour y entretenir le feu sacré. N’oubliez que c’est par ses clubs que la Révolution française a réussi. Les journaux sont à nous. Il ne reste que l’organe anglais : « The Nation ». Il va sauter cette nuit. Le coup d’État ne peut s’accomplir que par l’entremise de l’armée. Boivin a les pleins pouvoirs sur elle. C’est lui qui s’en charge. Quant à vous, je vous confie l’élément civil de la population. Après l’armée, l’opinion publique est la plus grande force dans une nation, souvent elle est plus forte que l’armée puisqu’elle l’influence.
De la pièce voisine, un télégraphe accourut un message à la main.
— Envoyez renfort à Québec. L’émeute bat son plein. Le sang coule.
— Répondez : — Tenez bon, dit Boivin.
Il alla au téléphone, mobilisa deux trains et ordonna au 164e et aux zouaves de partir immédiatement pour la vieille capitale.
Quelques instant après des détails plus précis arrivèrent.
La Cavalerie avait chargé dans les rues sur un groupe de manifestants lors d’une assemblée publique. À la hâte on étendit des câbles d’un trottoir à l’autre. Le premier rang de cavaliers buta. Des maisons les projectiles plurent sur le soldat. Un régiment envoyé à la rescousse de la Cavalerie se tourne du côté des rebelles.
Dans certaines rues on fait la guerre de barricade.
— Si les deux régiments que nous envoyons ce soir ne sont pas satisfaisants, nous enverrons le 44e demain matin. Coûte que coûte, il faut enlever Québec, prononça Bertrand. Il n’y a rien à craindre à Montréal où sauf les Rough Riders et le 6e nous avons l’armée avec nous.
La séance, interrompue quelques instants continua. On commenta cet émeute. À Québec les forces fédérales étaient un peu supérieure aux forces républicaines.
Quelques temps après, le télégraphiste reparut avec un message de Trois-Rivières. Là aussi on se battait. Le premier moment de stupeur passé, le généralissime émit l’opinion qu’on était en face d’un coup monté. Ces émeutes étaient provoquées. Il consulta dans les filières quelle était la position dans Trois-Rivières. Le corps de la police était indécis. Le chef ne savait pas encore à quel Régime obéir. D’après les informations, il obéira au plus puissant.
— Je change de tactique. Il ne faut pas dégarnir Montréal. Nous avons une quinzaine d’aéroplanes en disponibilité, j’envoie les aviateurs surveiller la ville, avec des bombes. J’y vais ce soir moi-même, et s’il faut faire sauter quelques bâtisses, nous le ferons. Messieurs, la tourmente commence. Soyons prêts.
— Je pars pour Québec ce soir avec Boivin, dit à son tour Bertrand. Je me tiendrai en communication avec vous. Télégraphiez au club du Castor. Pendant que Boivin donnait à son assistant, le colonel Gendreau, des ordres pour son absence, au cas où dans d’autres villes, on aurait besoin de secours,