un maire dont l’unique fonction a consisté à parader dans les congrès et les fêtes. Ernest Guindon appartenait à cette catégorie.
Autour de lui ses partisans étaient groupés. Ils saluèrent ses paroles par des acclamations, et crièrent, après son discours, de toute la force de leurs poumons et d’une conviction que l’alcool avait augmentée :
— « C’est Guindon qu’il nous faut ! »
La claque fit son devoir et lorsqu’Albert Gingras, un jeune avocat, se leva pour appuyer la candidature du National, il fut accueilli par des huées et des imitations de cris d’animaux.
Il parvint toutefois, grâce à l’appui du président, à débiter son discours. Contre son habitude, il ne fut pas trop violent, se contentant d’insinuations malignes, qui blessaient, comme de traîtresses piqûres d’aiguille. Pendant ce temps, Sir Vincent Gaudry qui avait des raisons personnelles pour détester son adversaire, — dans une élection précédente celui-ci avait dévoilé la part prise par le Solliciteur dans le scandale des vingt millions (octroi de contrats pour la marine de guerre) — regardait André Bertrand et lui ricanait au nez, narquoisement.
Sir Vincent Gaudry était un homme d’une popularité et d’une puissance hors de doute. Son talent de démagogue, son physique agréable et de prime abord sympathique, sa grande connaissance du cœur humain, et sa psychologie des foules, en avaient fait depuis longtemps le chef des radicaux dans le Québec avec succession probable à la tête du parti quand MacEachran disparaîtrait. Bien que directeur de plusieurs gros établissements financiers, il ne manquait aucune occasion de soulever les passions populaires, de soulever chez les masses des appétits de lucre en faisant miroiter, grâce à la sage administration de son parti, une prospérité future irréalisable.
Sir Vincent Gaudry avait cinquante ans tout au plus et qui n’y paraissait guère. Vêtu avec recherche, voire même avec raffinement, souple et agile, il avait la tournure et la démarche d’un jeune homme. Il portait beau : une tête apollonnienne qu’il renversait en arrière dans les moments de grande éloquence, une figure vermeille, une taille que l’embonpoint n’avait pas épaissi.
Prototype de l’opportuniste et de l’arriviste, il avait, au plus haut degré, le don de la popularité. Poli avec tous, mais d’une politesse hypocrite, il n’en conservait pas moins des manières de grand seigneur qui lui conservaient le respect et l’admiration des siens.
Quand il se leva, sa figure rayonnait. Il escomptait une revanche sur Bertrand, une revanche éclatante devant plusieurs milliers de personnes.
Les membres des clubs Saint-Georges, Levasseur et Bernier s’étaient rendus en grand nombre avec le mot d’ordre de huer son adversaire.
Maître de lui, dès la minute même qu’il prenait possession d’une tribune quelconque, il commençait presque toujours d’une voix doucereuse, lançant de petites phrases insidieuses avec un air de n’y pas toucher et qui frappaient leur bouche plus bas que la ceinture comme on dit chez le peuple.
Enhardi par les applaudissements qui saluèrent le début de son discours il devint ironique, d’une ironie mordante, cruelle. Il laissa de côté les problèmes de l’heure pour s’en prendre à celui-là même, qui incarnait, présentement, les principes adverses. Il descendit sur le terrain des personnalités.
Souriant, le chef des Nationaux, l’écoutait semblant s’amuser de ce que disait l’orateur : son démêlé récent avec la police et autres mêmes détails qu’il jugea n’être d’aucune importance.
Sir Vincent continua :
— « Ce pur, ce très pur, cet archi pur, qui se croit la mission de redresseur de torts, ne vous a jamais parlé de son aventure avec une actrice… de son collage avec une actrice.
D’une voix rauque — Bertrand cria à la face de l’orateur :
— « Vous mentez… Rétractez-vous… Sinon… »
Des voix sortirent de la foule :
— « Asseyez-vous ! Attendez votre tour » ! clamaient les partisans de Gaudry.
— « Retractez-vous, clamaient les amis de Bertrand.
Durant quelques minutes, le brouhaha menaça de dégénérer en bagarre.
Le président dit quelques mots au chef des Nationaux qui retourna à son siège.
Bien qu’ayant perdu un peu de sa belle assurance de tantôt, Sir Vincent continua sur le même sujet durant les quelques minutes qui lui restaient.
Puis… ce fut le tour d’André Bertrand d’exposer ses idées. Il avait pris le contrôle sur sa colère. Il était froid et calme. Seuls, ceux près de lui, pouvaient voir ses lèvres trembler et ses narines frémir.
D’une voix posée, il parla d’abord de choses indifférentes, pour donner le temps à l’auditoire d’oublier l’incident de tantôt.
Prudemment, avec réserve, comme un