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LA CITÉ DANS LES FERS

ces âmes. Elles riaient enfiévrées. Un homme avait dominé tous ces êtres divers, les confondant en une seule pensée identique.

Et ce fut au milieu de ce délire que se termina l’assemblée.


VI

LA TOURMENTE ÉLECTORALE


Ainsi engagée, la lutte promettait aux nationaux une issue plus réconfortante qu’aux élections dernières.

Rue Notre-Dame, près de la Côte Saint-Lambert, en plein centre de la ville, ils avaient installé les quartiers généraux de l’organisation. Maître Boivin, l’ami intime de Bertrand, en avait pris charge.

Ancien lieutenant-colonel dans un régiment de la milice locale, — il n’avait résigné que depuis six mois — Eusèbe Boivin conduisait la campagne militairement.

Dans son bureau, une immense carte murale représentait les divers comtés de la province, et lui permettait d’un simple coup d’œil, de se rendre compte des activités générales. À côté du bureau de Boivin se trouvait la chambre des télégraphistes et des téléphonistes qui se tenaient en communications constantes avec le dehors.

Tous les soirs le rapport était affiché : contrôle des listes, résultat des assemblées, votes probables. Voisin de ces bureaux, le comité des orateurs et celui des cabaleurs.

C’est là que Charles Picard distribuait la besogne pour la soirée ou la journée du lendemain, selon qu’une place faiblissait ou se fortifiait, il envoyait tel ou tel orateur, tel ou tel cabaleur. Un comité de publicité voyait à la rédaction, l’impression ou la distribution de circulaires ou de pamphlets ainsi que des communiqués aux journaux.

Dans la vaste salle du centre, servant d’antichambre aux divers bureaux groupés tout autour, quelques centaines de personnes, partisans, curieux ou flâneurs, discutaient les questions du jour.

En voyant entrer le Chef, arrivant d’un voyage à Québec, plusieurs allèrent lui serrer la main et le féliciter de son discours de mardi. Bertrand fit le tour des groupes, prodiguant avec les poignées de main, les mots d’encouragement.

Il pénétra dans le bureau de Boivin. Celui-ci était seul. Il était debout et posait de minuscules jalons sur la carte murale.

— Bonjour Bertrand, bon voyage, dit-il, en abandonnant son travail.

— Excellent ! Qu’est-ce que tu organises sur la carte ?

— Une série d’assemblées pour après demain. C’est la nomination. Nous tiendrons une assemblée dans chaque comté. C’est de la cabale qui s’adresse à des milliers de personnes à la fois. Ça prépare le terrain. Ensuite, j’envoie deux hommes par village faire la tournée des voteurs, avec instructions pour l’assemblée contradictoire qui suit la nomination. Imagine l’effet moral lorsqu’on apprendra que par toute la province les candidats du gouvernement peuvent à peine se faire entendre, tandis que partout, les Nationaux sont acclamés… Quelles nouvelles à Québec ?

— Nous gagnons du terrain. Lessard remporte. Québec — est le château fort des radicaux. Le ministre des postes Stephen Bergeron se fait battre dans Montmorency-Charlevoix… J’ai entendu dire qu’à la nomination, j’aurai deux « honorables » pour me donner la réplique et du fil à retordre.

— Vas-tu parler seul ?

— Qu’en penses-tu ?

— Il serait préférable d’amener quelqu’un avec toi : Albert Gingras par exemple… Tu le feras parler le premier… Il est un peu violent mais ça ne fait rien.


Tel que prévu, le lundi suivant, Ernest Guindon, le candidat radical, était accompagné du sénateur Joseph Savard et du solliciteur général, Sir Vincent Gaudry.

Les électeurs encombraient la salle du marché St-Jacques, et au dehors, dans l’espace libre où d’ordinaire stationnent les voitures, face à la rue Ontario, une foule énorme se pressait qui réclamait à grands cris l’assemblée en plein air.

À deux heures précises l’officier rapporteur proclama le nom des candidats en présence. Comme, dans l’arène, font les boxeurs avant de se ruer de coups, ils se serrèrent la main. D’un commun accord, ils décidèrent de parler au dehors. Ernest Guindon fut le premier orateur. Il se garda bien de parler politique et raconta à ses auditeurs comme quoi il s’intéressait aux œuvres de son comté, souscrivant largement chaque fois que l’occasion s’en présentait et ne négligeant d’assister à aucune tombola, ni fête publique. Il y a des gens qui s’imaginent que c’est là le devoir d’un homme public et qu’un politique a rempli sa mission lorsqu’il s’est montré un peu partout, là où il y a des électeurs et qu’il a prodigué un peu d’argent et plus de belles paroles.

Il y eut à Montréal il y a quelques décades