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Le passé se dresse devant elle, mais embelli, mais poétisé.

Ce passé est mort pourtant. Elle le croyait. Depuis hier, depuis la rencontre, voilà que subitement il s’est remis à vivre, malgré elle, glorieux, irrésistiblement fort. Il balaye tout ce qui n’est pas lui. Impérieux, il la capte, ce passé qui ne lui appartient pas tout entier.

Sur le secrétaire, une photographie lui sourit dans son cadre d’acajou. Et pendant qu’elle le prend entre ses doigts fins, voici que le portrait s’anime. Elle voit devant elle, bien nettement, tel qu’il était hier, tel qu’il est aujourd’hui, l’homme qu’elle a aimé, l’homme qu’elle aime encore.

D’une taille moyenne, nerveux et musclé, il dégage de toute sa personne une impression de force.

De visage, il n’est pas joli. Cependant, il plaît, peut-être moins qu’il n’en impose. Les cheveux coupés en brosse découvrent un front large, bossué, un front comme en possèdent les rebelles ou les dominateurs ; les yeux renfoncés sous l’orbite sont gris, d’un gris d’acier qui transperce ; le nez aquilin aux narines dilatées ; les pommettes des joues saillantes, les lèvres minces et droites, le menton carré, presque brutal. Et tandis que son imagination le ressuscite, et qu’elle le voit là, devant elle, la résolution qu’elle a prise dans un moment de griserie cérébrale, s’affermit.

Le sort en est jeté. Elle écrira à Henri, lui dira tout. Il en souffrira peut-être, il en souffrira certainement.