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ŒIL POUR ŒIL

les dimanches chauds d’été. À cette époque de l’année, et surtout à cette heure matinale, aucune âme qui vive ne fréquente cet endroit. Bien des rencontres y eurent lieu. Si les paysages des alentours pouvaient parler ils en raconteraient bien des péripéties tragiques. Si, à certaines places, l’herbe croît plus vigoureuse, c’est que du sang répandu en a fertilisé la terre. Les trois duels auraient lieu successivement à une demi-heure d’intervalle.

Ses dernières instructions données, von Buelow conduisit ses hôtes à leurs chambres, s’installa dans son cabinet de travail, lut un peu pour changer le cours de ses pensées et à son tour, alla demander au sommeil le repos et l’oubli.

Il faisait jour depuis longtemps, quand il se leva. Par les portes-fenêtres de sa chambre, la lumière pénétrait à grands flots. Il sonna son valet.

— Informez-vous auprès de Monsieur Liudman, si les personnes attendues sont venues. Le valet revint peu après. Tout était arrangé et conclu.

Herman fit sa toilette et rejoignit ses hôtes pour le dîner.

L’après-midi, il sortit à cheval, pratiqua ensuite quelques passes d’armes avec l’un de ses seconds, se coucha de bonne heure, pour le lendemain, être frais et dispos.

L’auto était commandée pour cinq heures. Il prit place lui-même au volant.

La lune, masse ronde et d’un blanc laiteux, folâtrait encore dans un ciel pâle. Une lumière diaphane baignait les objets. L’air était sec et froid.

Les vitres de la voiture abaissées, Herman von Buelow aspira l’air matinal qui s’engouffrait dans ses poumons. Il était joyeux comme s’il allait à une fête. Cela venait de ce qu’il avait bien dormi, d’un sommeil réparateur, bienfaisant et calme.

Il examina le terrain, prit ses mesures. Un roulement lointain sur la route lui annonça l’arrivée de Rhulman. Bientôt émergeant d’un bouquet d’arbres, celui-ci flanqué de deux témoins et du médecin s’avança raide et solennel. Il était vêtu d’une jaquette et coiffé d’un haut de forme. Il salua gravement von Buelow, et attendit que les témoins concluent entre eux, les arrangements nécessaires. Comme c’était lui, l’offensé, il avait choisi de se battre à l’épée.

Les deux hommes se décoiffèrent, enlevèrent leur veston et leur gilet, retroussèrent la manche droite de leur chemise jusqu’au coude, portèrent l’arme à la hauteur de la tête, verticalement, pour le salut d’usage, et se mirent en garde.

L’acier des épées brillait faiblement dans la lumière. On entendit le cliquetis du métal entrechoqué.

Von Buelow, après un dégagé, recula, avança, et d’un geste brusque essaya de désarmer son adversaire. Sa tentative n’eut aucun succès. Il dut parer, pour éviter d’être touché. Se tenant quelques instants, sur la défensive il étudia le jeu du capitaine Rhulman. Celui-ci se battait à l’italienne, l’épée vers le bas. Von Buelow changea de tactique, recula, fit une couple de feintes, et se fendant écorcha de la pointe l’avant-bras de l’adversaire. L’honneur était sauf. Le médecin examina la plaie. La coupure était peu profonde ; une coupure de surface, juste suffisante pour amener le sang. Il pansa la blessure.

Rhulman se revêtit, salua aussi gravement qu’à son arrivée et repartit suivi de ses témoins. Il était heureux de s’en tirer à si bon compte, et se félicitait intérieurement de l’issue du combat.

À ses traits étirés et fatigués, l’on pouvait deviner que depuis deux jours, il n’avait guère dormi.

Un quart d’heure après, le second adversaire arrivait à son tour. Le même cérémonial recommença. Plus heureux cette fois, von Buelow réussit à le désarmer. Le troisième était un fonctionnaire du palais royal, ignorant des règles de l’escrime. Comme c’était lui l’offensé, il choisit le pistolet.

Les armes en mains, les adversaires se mirent dos à dos, marchèrent vingt pas chacun de leur côté et se retournèrent. Un coup de feu, une détonation.