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LE ROMAN DES QUATRE

lution, on la lui apportait avec sa saveur de roman et de mystère et le peuple était maintenant satisfait.

Lafond et Morin étaient devenus à ses yeux en quelques sorte des héros mirifiques, des surhommes. Aussi, dès que le stock de la compagnie en formation fut offert en vente, il s’enleva avec une telle rapidité que jamais encore on n’avait vu pareil succès en notre pays.

Mais si Germain Lafond était retrouvé, le mot de l’énigme qui avait durant plus de deux mois occupé l’opinion n’en a toutefois jamais été donné. Qu’on me permette de retourner quelques jours en arrière afin de faire connaître certains faits que les journaux n’ont jamais soupçonnés.

Le jeudi matin qui a précédé la mise en liberté de l’ingénieur, j’étais à mon bureau quand un chauffeur de taxi « Feuille d’Érable » s’y présenta.

— Le Notaire Desgrèves ?

— C’est bien moi.

— On m’a prié de vous remettre cette lettre. On m’a dit d’attendre la réponse.

J’ouvris l’enveloppe et lus :


« Bien cher Notaire,

« Veuillez écrire un mot à Mademoiselle Chevrier la priant de suivre le porteur de la lettre que vous lui enverrez. Servez-vous de votre papier professionnel. Il est important que Mademoiselle Chevrier quitte la ville ce soir, il y va de sa sécurité.

« Bien à vous,

Votre compagnon de Pêche. »


Je m’empressai d’obéir. Depuis que j’avais identifié mon mystérieux ami, je n’avais plus aucun doute sur la droiture de ses intentions. Je pris une feuille de mon papier professionnel et écrivis :


« Mademoiselle Jeannette Chevrier,

En ville.


Mademoiselle,

Veuillez suivre le porteur de ce billet.

Vous êtes menacée si vous demeurez en ville. Ce Monsieur vous conduira en un endroit vous serez en sûreté. »


Et je signai.

Deux heures plus tard, quelqu’un vint sonner à ma porte. Je m’empressai d’aller ouvrir ; mais à ma grande surprise, il n’y avait plus personne, j’allais revenir quand une lettre frappa ma vue.

— Allons, me dis-je, encore un prospectus ! La cité devrait bien édicter une loi défendant de déranger les gens vingt fois par jour pour de telles insignifiances.

Machinalement, j’ouvris l’enveloppe. Elle contenait une nouvelle lettre de mon mystérieux ami.


« Bien cher Notaire,

Ne croyez-vous pas que votre femme ne doive commencer à être inquiète ? Pourquoi n’allez-vous pas passer deux jours avec elle ? Pour le moment, nous n’avons pas besoin de vous, croyez-moi, allez revoir les vôtres. Soyez de retour à votre bureau samedi, à midi, car à ce moment, Lafond sera en liberté. Mademoiselle Chevrier aussi devra être au rendez-vous.

À samedi.

Votre compagnon de Pêche. »


Inutile de dire que je ne manquai pas de répondre à l’invitation et, une heure plus tard, je filais vers Val Morin.

Là, une nouvelle surprise m’attendait. Comme je descendais de voiture et que j’embrassais mes enfants, je vis accourir ma femme et… à sa suite… Jeannette Chevrier.

— Comment ? Vous ? Ici ?

— Mais ne m’avez-vous pas dit de suivre le porteur de votre lettre ?

— C’est bien cela, mais enfin, je ne savais pas où il vous conduirait… Excusez ma surprise, Mademoiselle, et soyez persuadée que je suis heureux d’être votre hôte.


X


Il était onze heures et trente-cinq minutes quand nous fîmes notre entrée dans mon bureau, le samedi suivant. Inutile de dire que Mademoiselle Chevrier était très nerveuse et que moi-même, quoique le dénouement qui allait suivre ne présentât aucun doute en mon esprit, j’étais plus ému que je ne voulais le laisser voir et pour tous deux, les minutes s’écoulaient avec une lenteur désespérante. Enfin, midi sonna et à la minute même le timbre retentit.

— C’est lui, c’est Germain ! s’exclama la jeune fille, s’élançant vers la porte. Et quelques instants plus tard je l’entendis s’écrier : « Germain, mon Germain ! »

— Jeannette ! ma chère fiancée ! Enfin, je te retrouve !…

Je n’étais pas sorti de mon bureau, conscient qu’en ce moment tant désiré de la réu-